Paroles d’artiste

Elisabeth ballet

« Je travaille avec les contraintes »

Par Anaïd Demir · Le Journal des Arts

Le 6 février 2004 - 856 mots

À l’occasion de son exposition personnelle à la galerie cent8, Elisabeth Ballet répond à nos questions.

 D’où vient le titre de l’exposition, « C’est beau dehors » ?
Je n’ai pas d’idées chez moi mais toujours à l’extérieur. Dans l’exposition, il y a un long dessin, comme une frise, intitulé Beautiful Outside.

Vous vous présentez avant tout comme « sculpteur », pourquoi ?
La sculpture est un objet que l’on ne peut pas traverser. Son emplacement, au sol, au mur, ou en suspension, soustrait une portion d’espace « privé » à l’espace « public ». Il y a un dedans, il y a un dehors. Les sculptures que je construis sont souvent transparentes, matériellement et spirituellement. Au premier coup d’œil, elles montrent tout de leur construction. Transparentes ou percées de part et d’autre, elles sont fabriquées simplement. En faire le tour change le point de vue, cela apporte de la durée, du temps réel. La marche fait penser.

« Installation », est-ce un mot qui vous dérange ?
Je ne pense jamais « installation », ni « espace » d’ailleurs, qui est à mon avis une notion trop abstraite et géométrique. Je parle plutôt d’un « objet » parce que c’est quelque chose que l’on reconnaît, on peut le déplacer. C’est une construction tout à fait reconnaissable, des choses que je prends dehors et que je ramène à l’intérieur.

Que présentez-vous dans cette exposition ?
D’abord Leica. C’est un grand capot vert en Plexiglas arrondi au bout duquel il y a un pictogramme bien connu signalant les sorties de secours. C’est une pièce très filmique, comme un développement, parce que la figure s’échappe. Il y a un mouvement très rapide. On dit souvent de moi, et trop vite, que je travaille avec l’architecture parce que je travaille avec les contraintes – qui me sont nécessaires. L’espace en corridor de la galerie cent8 m’a donné l’impression d’une impasse. La galerie mesure 4 mètres de large sur environ 25 de long, avec des fenêtres sur un côté. Ce que j’ai décidé de faire a été déterminé par les contraintes du lieu : des pièces en boucle. Cette notion de boucle va très bien avec l’idée de faire le tour de la sculpture, comme celui de la galerie. On passe d’un corridor (l’entrée de la galerie) à un autre : Leica. On ne peut pas entrer dans le corridor délimité par la sculpture et d’où le pictogramme s’échappe. La sculpture est à la dimension d’une marche de dix pas pour en parcourir la longueur, le double pour en faire le tour.

Vous projetez aussi un film…
Leica est à mettre en relation avec Schlütterstrasse, un film vidéo tourné quand je vivais à Berlin. Un jour, alors que j’étais au travail à mon bureau, je lève la tête, il y avait un exhibitionniste devant mes yeux. Il était à l’étage au-dessus, de l’autre côté de la cour, dans l’immeuble d’en face. C’était un dimanche d’hiver, pas de vent, pas de bruit, il m’a joué la comédie à sa fenêtre toute la journée jusqu’au soir. Je voyais un tableau : plus on reste devant, plus il y a de profondeur. On a l’impression qu’il ne se passe rien parce que l’homme bouge à peine. Entre le matin et l’après-midi, la lumière est complètement différente ; lui continue ses histoires doucement, lentement, obstinément. C’est sur l’ennui, la paresse, le temps qui passe…. Ce film, c’est comme si on était à sa fenêtre, assis dans son fauteuil. Il y a une sorte d’intimité qui se crée, on est bien. Leica ou Schlütterstrasse, ce sont des histoires de vision, de vue finalement. J’ai placé ce film à la fin de l’exposition parce que je trouve que cela éclaire la sculpture du début. Dans leurs formes, l’une et l’autre ne sont que des boucles d’action et de temps. Entre ces deux pièces, il y a un rideau composé de lettres métalliques. J’ai trouvé un palindrome très simple : « oh cela te perd répéta l’écho ». Répété deux fois en enlevant les espaces entre les mots, on lit d’autres mots encore, et même plus que ce qui est réellement écrit. Ce qui est intéressant dans le palindrome, c’est que c’est un objet clos, il y a un début et une fin. Il est autonome comme une sculpture.

Pour aller voir Schlütterstrasse, il faut passer sous des dessins…
Je présente une frise de dessins qui fait le tour de l’avant-dernière salle en produisant des ondes, c’est Beautiful Outside. Le dessin est punaisé sur une structure en bois vissée à même le mur, les ondes isolent chaque portrait en redonnant de la légèreté à l’espace. Pour ces dessins, j’ai demandé à des amis ou à des gens de passage de se mettre en position de réflexion. Je voulais que le spectateur soit entouré par une frise de gens qui ne le regardent pas. C’est un travail sur la « pensivité ».

Que dire des matériaux utilisés ?
C’est toujours un désir qui prend une forme dans un matériau et non le contraire.

« C’est beau dehors »

Galerie cent8-serge le borgne, 108, rue Vieille-du-Temple, 75003 Paris, tél. 01 42 74 53 57. Jusqu’au 21 février.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°186 du 6 février 2004, avec le titre suivant : Elisabeth ballet

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