Cristal de Bohême

Absolutely « fab »

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 6 février 2004 - 620 mots

Le projet porte un nom énigmatique : « fab. », pour fabrique ou, peut-être, fabricateur, car il met en scène notamment cinq maîtres verriers d’une région mythique de République tchèque, la Bohême. Une vingtaine de créateurs – artistes ou designers –, réunis sous la houlette de la Gandy Gallery, à Prague, et de la designer Matali Crasset, directrice artistique du projet, ont été invités à créer trois collections d’objets : une en verre (« glassfab. »), une autre en cire (« waxfab. »), la dernière en savon (« soapfab. »). Si les deux séries de bougies et de savons se révèlent plutôt convenues, voire anecdotiques, les pièces réalisées en verre, spécialité des artisans tchèques, sont plus séduisantes. Au cristal de Bohême, unique matériau pressenti au départ, sont d’ailleurs venues se greffer d’autres variétés de verre, tels le verre soufflé et le verre borosilicaté, ou Pyrex. Plutôt que de se voir imposer une typologie précise – bol, coupe, vase… –, les créateurs ont imaginé leur objet à partir d’un thème : la mémoire, la séduction, le poids, la brèche, le goût, le souffle, le secret… Résultat : les artistes ont été plus prompts à manier l’humour que les designers. Sur le thème « La digestion », Rirkrit Tiravanija a conçu une étonnante double poêle, qui, paraît-il, se positionne pile poil sur deux feux d’une même cuisinière. Sur celui du « Poids », Bruno Peinado a sculpté une veilleuse en forme de champignon atomique. Pour « L’optimisme », Mathieu Mercier a réalisé un drôle de contenant, petit animal au ventre rebondi dont les deux oreilles font office de goulot. Enfin, pour illustrer le thème « Soi-même », Tobias Rehberger a imaginé un cendrier en forme de bulles de savon (nuage de fumée ?), baptisé Le Dégoût de soi-même.
Les designers, eux, sont donc restés plus sages. Sur le thème « La greffe », Denis Santachiara a taillé dans le cristal une très belle râpe à parmesan en forme de bague géante. Sur celui du « Goût », le duo berlinois Vogt et Weizenegger a imaginé une carafe à vin, munie de six verres-pipettes, et sur celui de la « Nature », Matali Crasset a conçu un étrange arrosoir, croisement entre une bouteille et une pomme de douche. Enfin, sur le thème « La brèche », le collectif tchèque Olgoj Chorchoj a réalisé un vase élégant, sorte d’œuf translucide à la « coquille » percée.
Le postulat de départ – réfléchir à partir d’un thème et non d’une banale typologie – a, sans aucun doute, favorisé l’éclosion de propositions originales. Mais il a aussi mis en porte-à-faux certaines créations, la râpe à parmesan ou l’arrosoir, par exemple. Leur nom les désigne en effet comme des « objets utilitaires ». En revanche, leur prix – respectivement 250 euros et 750 euros – les propulse indéniablement au rang d’« œuvres d’art ». D’où une légère ambiguïté… « Il ne s’agit pas d’une production industrielle, explique Nadine Gandy, responsable de la Gandy Gallery et éditrice des trois collections. Les pièces sont réalisées une par une et les prix de vente ont été établis en fonction des difficultés de réalisation et des multiples prototypes. Par ailleurs, chaque pièce fait l’objet d’un tirage limité. » Rappelons que, « en injectant de nouvelles pratiques », le but avoué de Matali Crasset est avant tout, et « modestement », d’« aider à pérenniser ces savoir-faire artisanaux ». À bon entendeur...

FAB.

Jusqu’au 13 février, Espace Paul-Ricard, 9, rue Royale, 75008 Paris, tél. 01 53 30 88 00. Les pièces – savon : de 15 à 80 euros ; cire : de 20 à 40 euros ; verre : de 250 à 2 500 euros – sont en vente sur le site www.gandy-gallery.com

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°186 du 6 février 2004, avec le titre suivant : Absolutely « fab »

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