Monographies

Histoires de fantômes chinois

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 6 février 2004 - 498 mots

À Ivry, Delphine Coindet et Christophe Cuzin présentent des travaux inédits
tandis qu’avec « Radio Ghost », Laurent Grasso creuse une chausse-trape dans l’image.

 IVRY-SUR-SEINE - Juxtaposition de trois expositions monographiques, le nouvel « accrochage » du Crédac, centre d’art d’Ivry, se garde de tout raccrochage thématique, mais propose dans des salles séparées l’espace nécessaire à trois propositions fondées sur des œuvres inédites. Introduite par Pilote, une sculpture signalétique sans indice autre que sa forme – celle d’un panneau indicateur dont les directions comme les buts sont encore à développer –, la Belle Hypothèse de Delphine Coindet est celle d’un pari toujours aussi complexe : celui de l’ajout d’une dimension. Le passage du projet à l’objet, du dessin à la sculpture et, au final, du virtuel au matériel relève d’un processus tangible dans le travail de Delphine Coindet. Il se fait ici par le recours à des matériaux hétérogènes (métal, plastique, bois), une tension entre une composition formelle (trois objets assemblés) et son référent figuratif (un lac avec son nénuphar, un ponton en forme de « E »), augmenté d’une temporalité artificielle (les variations lumineuses d’une lampe). La reconstitution d’une idée tirée du réel et découpée par des schématisations successives débouche donc sur une énigme paysagère, aussi truquée qu’un jardin anglais. Perpendiculaire au sol, l’intervention de Christophe Cuzin tient, elle, autant du trucage que de l’adaptation. Comme seul geste, l’artiste a repris deux des murs de la salle d’exposition. Il les a mis d’équerre. Rien d’exceptionnel, n’était le sol en pente...
Si Laurent Grasso n’a pas donné dans l’in situ, il n’a pas moins profité de la configuration étrange du Crédac (originellement conçu comme un cinéma) pour produire une de ses œuvres les plus abouties. Radio Ghost réunit quelques-unes des thématiques récurrentes chez le jeune artiste (la disjonction entre l’image et le son, le surnaturel, le feuilletage du réel par sa représentation filmée) tout en amplifiant au passage la composante physique de son rapport à l’image. Défilant sur un large écran placé au centre de la salle, un balayage aérien de Hongkong en perspective cavalière transforme la ville en une vaste maquette. Les couleurs gonflées, comme les monochromes fondus entre deux séquences, amplifient l’artificialité du paysage. Des poufs invitent ici à assister paisiblement au spectacle, pendant que, plus loin, inversant ce qui aurait dû être une cabine de projection, l’artiste propose un autre point de vue. Avec une fenêtre recadrant le travelling, il a ménagé une chausse-trape dans le paysage. Celui-ci est subitement accéléré et rapproché, tandis qu’en voix off des personnages racontent des histoires de fantômes. Posés sur des fréquences basses, les témoignages sont ceux de l’envers de la ville, des couches de non-sens qui se rajoutent sur une vision rendue nauséeuse par la proximité et les mouvements de l’image. Les spectres sont dans la ligne de mire.

DELPHINE COINDET, CHRISTOPHE CUZIN, LAURENT GRASSO

Jusqu’au 7 mars, Centre de recherche d’art et de diffusion pour l’art contemporain (Crédac), 93 avenue Georges-Gosnat, 94 200 Ivry-sur-seine, www.credac-and-co.com, tlj sauf lundi 14h-19h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°186 du 6 février 2004, avec le titre suivant : Histoires de fantômes chinois

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