Art ancien

Le choix du conservateur

Jean Penent

Conservateur du Musée Paul-Dupuy à Toulouse

Par Le Journal des Arts · Le Journal des Arts

Le 6 février 2004 - 665 mots

TOULOUSE

Jean Penent, conservateur du Musée Paul-Dupuy, à Toulouse, présente Le Pillage du temple de Delphes de Raymond Lafage (1656-1684), une œuvre acquise récemment.

À son retour à Toulouse en 1683, Raymond Lafage avait trouvé son ancien maître, Jean-Pierre Rivalz, architecte et peintre de la ville, occupé au réaménagement des salles d’apparat du Capitole. La troisième galerie dominant la « cour Henri IV » était destinée à devenir la salle des Peintures, où seraient célébrés « l’histoire et (les) rares faits d’armes des Tolosains ». L’annaliste Germain de Lafaille avait fourni un ensemble de sujets, allant de l’Antiquité à l’époque moderne, pour lesquels Rivalz avait présenté des modèles. Il sera néanmoins supplanté par son élève – un artiste « aussi habile audit art qu’on en puisse trouver » –, à qui les capitouls avaient demandé dix esquisses pour ce même programme : Le Départ des Tectosages pour une nouvelle patrie ; Ptolémée, roi de Macédoine, fait prisonnier par les Tectosages ; La Fondation d’Ancyre par les Tectosages ; Le Pillage du temple de Delphes par les Tectosages ; Théodoric, roi Wisigoth, menant Littorius captif à Toulouse ; Raimond IV, comte de Toulouse, prenant la croix ; Bertrand, comte de Toulouse, recevant la reddition de Tripoli ; La Défaite d’Henri II Plantagenêt sous les murs de Toulouse ; L’Établissement du Parlement de Toulouse ; Les Huguenots chassés de Toulouse (l’ensemble est aujourd’hui conservé au Musée Paul-Dupuy, sauf Théodoric…, dans les collections du Musée du Louvre). Ces grandes compositions à la plume et au lavis, exact reflet des peintures de Lebrun à Versailles, répondaient aux attentes des capitouls. Elles furent accueillies avec un enthousiasme – « (ils) sont si beaux qu’on ne peut assés les admirer » – que partagea un très jeune amateur d’art, lui-même fils d’un capitoul à l’initiative de ces projets, Pierre Crozat (1665-1740). Ce dernier les fera plus tard graver à Paris par François Ertinger, mais, dans l’immédiat, pour sa collection personnelle, il demanda à Lafage la réalisation d’une série parallèle, limitée toutefois à huit dessins : les deux derniers sujets, dans lesquels les capitouls exprimaient leur conformisme politique et leur fanatisme religieux, avaient en effet peu de raisons d’être retenus. Pour cet ensemble qui, en 1741, à l’occasion de la vente après décès du collectionneur, sera décrit en termes élogieux par Pierre-Jean Mariette – « (dessins) sur vélin, lavés à l’encre de la Chine avec un soin infini » (n° 1042) –, avant d’être acquis par le fameux Edmé-François Gersaint, un seul titre était en fait précisé, Le Pillage du temple de Delphes, correspondant à la feuille que nous présentons.

Il semble que cette nouvelle série ait permis à Lafage comme à Crozat d’exprimer des choix esthétiques quelque peu différents de ceux imposés par les capitouls. Le petit dessin du Pillage du temple de Delphes n’est pas en effet une simple reproduction du grand format sur le même thème : alors que dans le premier, les soldats chargés de butin étaient disposés en frise, dans l’esprit des bas-reliefs de l’arc de Titus, le second offre une composition plus en hauteur et la scène s’inscrit en profondeur dans un large mouvement sinueux, allant de l’arrière-plan à gauche où l’on voit la statue d’Apollon retirée du temple au premier plan à droite où des soldats sont placés en contre-jour. Ainsi, Pierre Crozat avait sollicité (ou accepté) de l’artiste une œuvre davantage selon son cœur, lequel penchait déjà vers le camp « rubéniste ». À son instigation probable, le tableau définitif pour le Capitole sera confié à Antoine Coypel et les édiles toulousains auront, sans le vouloir ni le savoir, commencé à changer de siècle. En 1683, Crozat avait 18 ans, Lafage, 27, et Coypel, 22.
Voici ce que nous révèle ce précieux petit dessin rencontré dans une galerie toulousaine, l’une des œuvres ultimes de Lafage, mort quelques mois plus tard, première commande du grand Crozat, qui suscita l’intérêt de Mariette et arrêta le regard de Gersaint. Il en reste sept autres à découvrir.

Jean Penent

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°186 du 6 février 2004, avec le titre suivant : Jean Penent

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