Arménie

Les mécènes se mobilisent

Le Journal des Arts

Le 6 février 2004 - 772 mots

Gerard L. Cafesjian, collectionneur d’origine arménienne installé aux États-Unis, vient d’offrir à la ville d’Erevan un musée d’art contemporain.

 NEW YORK - Durant les années 1990, la jeune République indépendante d’Arménie s’est difficilement remise d’un tragique tremblement de terre, aggravé par un climat constant d’affrontements avec l’armée soviétique. La paix revenue, la nation s’est peu à peu construit son système économique, et les institutions culturelles peuvent désormais compter sur le soutien financier des membres de l’importante diaspora arménienne résidant aux États-Unis. Selon les chiffres du recensement national, les Américains d’origine arménienne se distinguent largement des autres minorités ethniques des États-Unis par leurs réussites sur le plan des études universitaire comme sur le plan financier.
Le monde de l’art n’est pas en reste puisqu’il compte parmi ses membres arméniens-américains le célèbre marchand Larry Gagosian, le collectionneur et mécène Richard Manoogian, fabricant des robinetteries Delta Faucets – à qui l’on doit la renaissance du Detroit Institute of Arts, ancienne propriété de la municipalité sauvée in extremis de la faillite –, et Kirk Kerkorian, le financier et entrepreneur milliardaire, propriétaire de parcs d’attractions, des studios de cinéma United Artists et de casinos (Bellagio) au sein du groupe MGM-Grand.
Mais le plus important mécène à ce jour est sans conteste Gerard L. Cafesjian, éditeur arménien-américain résidant à Naples, en Floride. Par le biais de sa fondation, il vient de promettre 100 millions de dollars (79 millions d’euros) pour la création d’un musée d’art contemporain dans la capitale arménienne, Erevan. Selon toutes vraisemblances, cette nouvelle institution abritera sa collection d’art personnelle. D’autre part, une large partie de ce don ira à la construction du Mémorial et du Musée du génocide arménien prévu à Washington, DC (les branches maternelles et paternelles de sa famille ont péri lors du génocide de 1915).
Né Jirair Cafesjian à Brooklyn en 1925, Gerard L. Cafesjian a étudié la sculpture à l’Art Students’ League, à New York, avant de suivre une formation en droit puis de rejoindre West Publishing, une maison d’édition juridique basée à Minneapolis. Tandis que la ville construisait sa réputation grâce à la philanthropie de ses entreprises, Cafesjian soutenait déjà les musées locaux, et particulièrement le Minneapolis Institute of Art et le Weisman Museum de l’université du Minnesota ; l’éditeur est surtout célèbre pour la restauration d’un carrousel datant de 1914 dans le Como Park, aujourd’hui appelé le « Carrousel Cafesjian ». Également, il a fait appel à l’architecte Will Bruder pour convertir une salle de cinéma en Scottsdale Museum of Contemporary Art, en Arizona. À son ouverture en 1999, le musée présentait la collection du mécène, constituée de pièces en verre, de joaillerie et d’art contemporain.
Collectionneur passionné, Gerard L. Cafesjian acquiert depuis longtemps les travaux de Dale Chihuly, les constructions de verre des artistes tchèques Stanislav Libensky et Jaroslava Brychtova et les sculptures de Fernando Botero ; un gladiateur romain en bronze de l’artiste colombien monte la garde devant l’entrée du Weisman Museum. L’ensemble, estimé à 110 millions de dollars, est également riche en œuvres de l’émigré arménien Arshile Gorky ; la dernière acquisition de Cafesjian – deux dessins – remonte au mois de novembre 2003, chez Sotheby’s.

Déni du génocide arménien
Les musées américains, toujours à la recherche de bienfaiteurs, ont largement sollicité Gerard L. Cafesjian, mais le philanthrope souhaite se consacrer en priorité à son pays d’origine. Le musée d’Erevan devrait se situer au sommet d’un escalier monumental gravissant le flanc d’une colline qui surplombe la ville, escalier dont la construction, en hommage aux cinquante ans de l’Arménie soviétique, date des années 1980. Avec un budget estimé à 25 millions de dollars, le musée devrait occuper une immense « terrasse » de plus de 14 hectares. Plusieurs cabinets internationaux d’architecture travaillent déjà sur le projet : Bernard Tschumi à New York et Paris, Coop Himmelblau à Vienne et MVDRV à Rotterdam. S’il est vraisemblable que le musée abritera la collection de Cafesjian, le mécène attend néanmoins d’avoir l’accord de son futur directeur.
Parallèlement, le Mémorial et le Musée sur le génocide arménien que Cafesjian, accompagnés d’autres mécènes arméniens, souhaite implanter à Washington, DC, à deux pas de la Maison Blanche, devraient bientôt voir le jour. Contrairement au Musée américain sur l’Holocauste – qui bénéficie d’une aide fédérale annuelle de 30 millions de dollars –, cette entité muséale ne recevra aucune subvention publique. La Turquie nie toujours la réalité du génocide arménien, et les pressions politiques empêchent le Congrès américain de voter une résolution pour en commémorer la mémoire. En France, le président de la République a promulgué le 29 janvier 2001 une loi qui dispose que « la France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915 ».

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°186 du 6 février 2004, avec le titre suivant : Les mécènes se mobilisent

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