Sculpture

La quête de « l’autre »

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 20 février 2004 - 656 mots

À travers une présentation des plus didactiques, le Musée d’Orsay redécouvre l’œuvre de Charles Cordier, sculpteur ethnographique du Second Empire, et virtuose du marbre polychrome.

 PARIS - Figure majeure de la sculpture française sous le second Empire, pionnier de la polychromie des marbres, Charles Cordier est tombé dans un relatif oubli au XXe siècle. Le Musée d’Orsay lui consacre aujourd’hui sa première exposition monographique en s’intéressant plus particulièrement à ses sculptures ethnographiques, à l’image de Saïd Abdallah. Exposé au Salon de 1848, ce buste figurant Seïd Enkess, un ancien esclave noir devenu modèle, fut déterminant pour la carrière de Cordier et connut un grand succès – couronné par son acquisition en 1851 par la reine Victoria pour le prince Albert. L’année de sa présentation (1848) correspond aussi à l’abolition de l’esclavage en France, une corrélation dont le sculpteur souligne l’importance dans ses Mémoires. Accueillant le visiteur, le buste, accompagné de celui de la Vénus africaine et de la sculpture Aimez-vous les uns les autres (un enfant noir et un enfant blanc enlacés), évoquent ce contexte historique particulier qui a vu émerger l’œuvre de Cordier. La quasi-totalité des pièces qu’il réalisa pour sa « Galerie anthropologique et ethnographique pour servir à l’histoire des races », dans le cadre de l’Exposition des produits d’Algérie, en 1860, au palais de l’Industrie, ont également pu être réunies. Outre les bustes d’Algériens, d’Africains et de Chinois, l’ensemble comprend des types européens, grecs, italiens ou français. L’artiste a représenté de manière similaire une Jeune fille des environs de Rome (1858), une Mauresque noire (1856) ou une Femme hydriote (1859), même si, à l’occasion, il n’échappe pas aux clichés de l’exotisme, comme en témoigne la Jeune femme fellah en costume de harem (1866).
Au fil de sa carrière, Cordier effectua différentes missions en Algérie (1856), en Grèce (1858) et en Égypte (1866, 1868), où il s’attacha à fixer « la race telle qu’elle est dans sa beauté relative, dans sa vérité absolue, avec ses passions, son fatalisme, son calme orgueilleux, sa grandeur déchue ». Des propos aujourd’hui obsolètes mais audacieux pour l’époque puisqu’il affirmait que « le beau n’est pas propre à une race privilégiée ». Et, lorsqu’il offrit à la Société d’anthropologie un dessin symbolisant « les trois principaux types du genre humain », c’est un Arabe d’El Aghouat qu’il choisit pour représenter la race blanche...
Exposés aux côtés des œuvres de Cordier, des photographies et daguerréotypes contemporains, réalisés par Louis Rousseau, Jacques Philippe Potteau ou Henri Jacquart, permettent d’évoquer l’anthropologie naissante qui, par certains aspects (comme les méthodes de classification des différentes « races »), dérive vers les doctrines colonialistes de l’époque. Plongés dans une quasi-obscurité et auréolés d’une lumière soulignant leur faste, le Nègre du Soudan (1856), la Capresse des colonies (1861), l’Arabe d’El Aghouat, la Juive d’Alger (1872) ou la Femme grecque (1859) en médaillon, de Cordier, illustrent au mieux son maniement original et novateur du marbre. Pour ses travaux, Cordier utilisait la polychromie naturelle de ce matériau, principalement le marbre-onyx d’Algérie, dont les teintes varient du blanc au rouge en passant par une grande variété de bruns. Il jouait aussi avec la patine du bronze (argentée, dorée ou colorée) et se servait parfois de l’émail pour ses premiers exemplaires. Ses œuvres suscitèrent les critiques les plus virulentes comme les plus élogieuses. Si Théophile Gautier reconnaissait en lui « l’intelligence des aspirations modernes peu communes chez les statuaires », le critique Paul Mantz déplorait ses « effigies multicolores » qui « attestent du plus mauvais goût ». Finalement, comme l’écrit dans le catalogue Laure de Margerie, commissaire de l’exposition, Cordier est cet artiste « bien à part dans son temps » guidé par la découverte de « l’autre ».

CHARLES CORDIER (1827-1905), SCULPTEUR – L’AUTRE ET L’AILLEURS

Jusqu’au 2 mai, Musée d’Orsay, 62 rue de Lille, 75007 Paris, tél. 01 40 49 49 20, www.musee-orsay.fr, tlj sauf lundi, 10h-18h et 21h45 jeudi. Catalogue, Éditions de La Martinière, 256 p., 45 euros.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°187 du 20 février 2004, avec le titre suivant : La quête de « l’autre »

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