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David Caméo, directeur de la Manufacture nationale de Sèvres

« Se différencier par l’audace »

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 20 février 2004 - 1331 mots

David Caméo a été conseiller chargé des musées, des arts plastiques, du marché de l’art et des enseignements artistiques aux cabinets des ministres Catherine Trautmann puis Catherine Tasca, avant de rejoindre le cabinet du Premier ministre Lionel Jospin en 2001 en qualité de conseiller chargé de la culture. Nommé inspecteur général de la création et des enseignements, il assure la direction de la Manufacture nationale de Sèvres depuis mars 2003.

La Manufacture nationale de Sèvres est porteuse d’une tradition et d’un savoir-faire, tout en ayant pour mission de mener à bien des expériences dans le domaine de la création contemporaine. Comment voyez-vous cette articulation ?
Ce double enjeu de la tradition et de la modernité s’est exprimé depuis la création de la Manufacture. À chaque époque se sont conjugués le savoir-faire des artisans, l’imagination et le talent des artistes. Au XVIIIe siècle, il s’agissait de Boucher, Falconet…, au XXe, de Calder, Poliakoff. Les artistes sont venus s’y ressourcer et ont contribué à donner à l’établissement son identité singulière. Aujourd’hui, je peux citer Pierre Alechinsky, Louise Bourgeois ou actuellement Johan Creten. Je crois que la céramique est un terrain exploratoire stimulant et fertile pour les créateurs de toutes origines. Le savoir-faire inégalé de Sèvres, service public rappelons-le, doit être mis à disposition des artistes pour que ceux-ci créent de nouvelles formes qui deviendront des références. Nous avons constitué un conseil artistique (1). La réflexion sur la stratégie a permis de déterminer des critères de choix artistiques : séduire par la nouveauté, retenir par la qualité et se différencier par l’audace. Nous pouvons nous permettre de nous engager vers ce qui paraît complexe voire insurmontable pour toute autre entreprise. La nouvelle ligne éditoriale sera mise en place au deuxième trimestre 2004. Nous souhaitons travailler avec un panel plus important d’artistes contemporains, de designers et de céramistes et affirmer notre propre identité à travers ces collaborations.

Le marché de la céramique semble peu développé en France. Existe-t-il des moyens d’y remédier ?
Il existe au moins deux marchés : l’un est celui des manifestations et salons axés sur les métiers d’art, l’autre, qui commence à émerger, est lié aux galeries d’art, avec des professionnels comme Carla Koch en Hollande ou les galeries Pierre, Carlin, Scremini à Paris. Ces marchés sont complémentaires – même si le second est plus international – et, si l’on constate le succès des pièces des années 1950, il ne restera pas limité à cette période. Il y a un intérêt croissant pour ce marché et le travail des galeries mérite d’être encouragé. Les institutions publiques doivent accompagner cette tendance, d’abord en assumant leur rôle de diffuseurs, mais il faut peut-être également fédérer davantage les énergies, faire comprendre que ce domaine est partie intégrante de l’art contemporain. L’État assure déjà par le biais du Fonds national d’art contemporain (FNAC) des acquisitions, il doit aussi pouvoir s’engager dans des programmes plus ambitieux. Permettre à des artistes internationaux d’investir ce sujet peut constituer un élément de dynamique culturelle et économique. Je voudrais citer à titre d’exemple la commande publique passée à 30 artistes comme à 30 céramistes, actuellement présentée au Musée national de céramique : le travail de Carole Benzaken, Ronan Bouroullec ou Fabrice Hybert révèle une autre dimension de la céramique.

Vous parliez du design. Ce domaine semble souffrir de l’absence d’une institution nationale qui lui soit consacrée. Que penseriez-vous de la création un tel lieu à Paris dans l’ancien Musée national des arts d’Afrique et d’Océanie ?
Le ministre, Jean-Jacques Aillagon, s’est exprimé récemment, lors de la présentation de la collection du FNAC au dernier Salon du meuble de Paris. Il a souligné la nécessité de développer de telles initiatives, dans le cadre d’un salon professionnel, mais aussi avec une prochaine exposition sur les collections du FNAC à la porte Dorée. Doit-on aller au-delà et consacrer ce bâtiment au design ? C’est une question culturelle, artistique et budgétaire. Dans l’immédiat, je me réjouis de l’annonce de la transformation de la galerie des Gobelins en espace d’exposition pour les collections du Mobilier national. Nous réfléchissons, avec Bernard Schotter, à la mise en place d’événements communs qui permettraient de montrer la création contemporaine des manufactures. Cette relation mobilier-manufacture sera un plus, même si elle ne règle pas le problème de la diffusion du design au plan national.

Les grandes lignes de la programmation du Jeu de paume, désormais consacré à la photographie, ont été annoncées. Quel est votre sentiment sur cette nouvelle institution ?
Ces dernières années, tous les ministres de la Culture ont souligné le manque de lisibilité de la politique nationale dans le domaine de la photographie. Nos collections patrimoniales et contemporaines méritaient un lieu fédérateur dans un site exceptionnel. Le développement du marché de la photographie, le succès de Paris Photo et la place prise par Paris militaient pour qu’un espace lui soit dédié.

Les élections régionales approchent. Depuis le scrutin de 1998, avez-vous perçu une évolution au niveau de l’engagement des conseils régionaux dans le domaine de la culture ?
L’intérêt et l’engagement des collectivités territoriales et des conseils régionaux ont été progressifs et constants. La déconcentration a permis de placer les directions régionales des Affaires culturelles (DRAC) au plus près des attentes des pouvoirs et des acteurs locaux. Le 20e anniversaire des Fonds régionaux d’art contemporain a révélé la richesse et la diversité de leurs collections et montré que les régions se sont bien approprié cette politique patrimoniale. Depuis 1998, on a pris conscience de la nécessité de doter ces collections d’un lieu identifié, sans pour autant que ce soit un musée. L’idée des « Frac de deuxième génération » a marqué un engagement complémentaire des Régions. Cet axe prouve que le partenariat État-collectivité va connaître des développements. Une autre orientation est à relever, celle des enseignements artistiques ; des protocoles d’accord ont été signés à cet effet avec certaines Régions. Je ne parlerai pas de l’engagement pérenne en faveur des orchestres ou du spectacle vivant, qui assure des éléments structurels de la politique culturelle. Enfin, la nouvelle politique de décentralisation dans le domaine patrimonial – avec le transfert de propriété, de monuments historiques mais aussi d’œuvres d’art, grâce à la loi musée – va modifier les règles du jeu. En résumé, si le pourcentage consacré à la culture dans le budget des Régions est encore faible par rapport à celui de l’État et des Villes, il ne peut que croître à l’avenir. Il n’y a pas de retour en arrière possible.

Quelles expositions ont attiré votre attention récemment ?
J’ai aimé l’installation magique d’Olafur Eliasson à la Tate Modern de Londres, mais aussi « Les origines de l’abstraction » au Musée d’Orsay, dont le parcours est une alchimie entre une vision scientifique et intuitive de l’art . « L’Odyssée de la porcelaine » au Musée national de céramique de Sèvres, c’est un regard croisé à l’occasion de l’Année France-Chine : les Chinois ont découvert la porcelaine au VIIe siècle, ils l’exportaient en Europe au XIVe et il a fallu attendre le XVIIIe pour que nous découvrions leur secret. Autres expositions, un florilège autour de Pierre Buraglio, au Musée Zadkine, à la galerie Marwan Hoss à Paris, au Musée des beaux-arts de Lyon ; toutes montrent la dualité et le sentiment conflictuel et intimiste présent dans ses travaux. En galerie, l’exposition de Jean-François Fourtou chez les Vallois et Pièce Unique, à Paris, se joue du décalage et de l’humour auquel je suis sensible. Bruno Peinado et ses objets en céramique, comme son skateboard, à la galerie Loevenbruck, ont une audace qui m’interpelle évidemment, j’y vois le signe de l’évolution de l’objet de céramique, le signe de la relève pour ceux qui y croient !

(1) Présidé par Martin Bethenod, le délégué aux Arts plastiques, celui-ci est composé de Bernard Schotter (administrateur du Mobilier national et des Manufactures nationales des Gobelins, de Beauvais et de la Savonnerie), Béatrice Salmon (directrice du Musée de l’Union centrale des arts décoratifs), Henry-Claude Cousseau (directeur de l’École nationale supérieure des beaux-arts), Philippe Favier (artiste) et Françoise Guichon (experte).

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°187 du 20 février 2004, avec le titre suivant : David Caméo, directeur de la Manufacture nationale de Sèvres

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