XIXe siècle

La nature dans l’air du temps

Le Journal des Arts

Le 5 mars 2004 - 1287 mots

Le marché des dessins de paysages de l’école de Barbizon est toujours vif grâce à une clientèle fidèle. Un nouvel intérêt se dessine depuis une dizaine d’années pour les pionniers du paysage sur nature du début du XIXe siècle.

 Paris - L’école de Barbizon a toujours eu ses adeptes. « Trois artistes rattachés à l’école de Barbizon sont particulièrement demandés, note Pascale Pavageot, expert en dessins et tableaux du XIXe siècle chez Sotheby’s à Paris. Il y a bien sûr Théodore Rousseau, Jean-François Millet – lequel a produit peu de paysages et privilégié les scènes paysannes –, et enfin Camille Corot, dont la carrière dépasse le cadre strict de Barbizon. Ses très belles œuvres touchent une clientèle internationale mais sont assez rares. De nombreux faux circulent et sont attribués à ces trois maîtres, c’est pourquoi il faut être extrêmement attentif. » Les maisons Christie’s et Sotheby’s vendent à Londres et à New York les dessins importants du groupe de Barbizon qui leur sont confiés et qui intéressent une clientèle composée d’amateurs français, américains et anglais. Paris n’est pas en reste. Le record de la dernière décennie pour un dessin de paysage de Corot a été établi en 2000 à Paris par Piasa avec 1,35 million de francs (205 806 euros) pour une vue italienne de 1827. En 2001, un paysage au fusain avait été acheté 116 000 euros lors d’une vacation de Christie’s à New York, tandis que Sotheby’s vendait dans les mêmes circonstances une Vue du temple de Vénus à Rome pour 81 000 euros. Selon Pascale Pavageot, le marché propose régulièrement des dessins authentiques de Corot pour des prix allant de 8 000 à 10 000 euros, les grands fusains se négociant plutôt autour de 30 000 euros.

La mare aux fées
Les prix des dessins de Théodore Rousseau sont inférieurs. Le record établi à 57 000 euros en 1994 par Rocher en lisière de forêt, 1842, au marteau de Guy Loudmer, à Paris, n’a jamais été égalé depuis, même si Allée sous bois, vendu à New York par Sotheby’s en octobre 2003, a été adjugée 45 000 dollars (environ 38 000 euros). « On trouve de jolis Rousseau aux environs de 15 000 euros, mais également des pièces plus modestes et de petite taille entre 5 000 et 8 000 euros, précise Pascale Pavageot. L’artiste a fait quelques dessins rehaussés d’aquarelle et de gouache qui sont magnifiques et très rares. Une telle œuvre de qualité pourrait atteindre le prix de 80 000 euros. » L’expert constate par ailleurs que la demande relative aux dessins du groupe de Barbizon est moins importante que celle qui concerne les tableaux. Les prix n’ont jamais retrouvé les sommets atteints à la fin des années 1980.
Seuls les trois ténors de la forêt de Fontainebleau sont couramment proposés par les maisons de ventes internationales, les artistes moins connus comme Jules Dupré, Constant Troyon ou Narcisse Diaz de la Peña étant plus souvent présentés lors des ventes très spécialisées des environs de Barbizon. La SVV Osenat à Fontainebleau organise avec l’aide de l’expert Michel Rodrigue deux ventes annuelles intégralement consacrées à l’école de Barbizon, comprenant près de 250 lots dont environ 80 dessins. Dans ce contexte précis, la demande ne semble pas fléchir. « Depuis près de vingt ans, j’ai remis en scène l’école de Barbizon sur le marché des ventes publiques, explique Michel Rodrigue. C’est un moment historique et représentatif pour lequel des collectionneurs nourrissent un véritable intérêt. » Les bons résultats des vacations ne désavouent pas les propos du spécialiste, qui note par ailleurs un rajeunissement des acheteurs souvent originaires de France, d’Allemagne, du Japon et des États-Unis. « Le marché français est très friand de Corot, constate-t-il, les dessins de Millet intéressent les amateurs japonais et américains, et les plumes de Rousseau sont très recherchées de tous les collectionneurs. Toutefois, les dessins de Louis Cabat, l’un des premiers sédentaires de Barbizon, ceux de Camille Flers, de Charles Jacque, de Diaz, de Dupré ou encore de Louis François Français plaisent également beaucoup. Les sujets des feuilles les plus appréciées sont liés à la forêt et font référence aux lieux mythiques tels que la mare aux fées. » Les ventes de Fontainebleau, lieu même où les artistes ont croqué leurs paysages, connaissent un certain succès, les amateurs étant prêts à venir chercher sur place les scènes de bergères et paysannes dont ils raffolent.
Les prix pour les artistes de l’école de Barbizon étaient déjà extrêmement élevés au début du XXe siècle. Le public américain lui montre depuis cette époque une grande sensibilité, dont témoignent plusieurs salles du Metropolitan Museum of Art de New York. Les sujets paysans qui habitent bien souvent ces dessins sont moins appréciés du public européen. Conçus pour être vendus par les artistes, les paysages de Barbizon n’ont pas été épargnés de certains impératifs commerciaux tels que l’aménagement de la nature ou la construction d’un panorama, selon une sensibilité qui semble parfois aujourd’hui obsolète. Les préoccupations sociales des peintres ont également pu lasser certains collectionneurs qui préfèrent désormais se tourner vers les petits maîtres impressionnistes et postimpressionnistes. L’intérêt des amateurs de dessins de paysage ne s’est pas amenuisé, mais a pu évoluer depuis quelques années.
« C’est vrai qu’il y a vingt ans, l’école de Barbizon était plus demandée ; depuis dix ans, le goût est davantage porté sur les esquisses faites sur nature au début du siècle, constatent les experts en dessins Patrick et Bruno de Bayser. Cela correspond d’une part à un changement de clientèle, qui se renouvelle et évolue de manière cyclique, d’autre part à la recherche de l’avant-garde toujours plus en amont. Le goût actuel est tourné vers des choses intemporelles dont l’effet est spontané et qui parlent encore à l’amateur. »

Le paysage sur nature
L’intérêt porté aux dessins de paysage s’est peu à peu déplacé vers les premiers artistes ayant travaillé en plein air, à l’exemple de Valenciennes lorsque, au début du XIXe siècle, les jeunes peintres découvraient durant leur séjour en Italie la quête de l’instantané. Les artistes commencent alors à regarder le paysage pur, et non plus à le mettre en scène suivant la tradition de la peinture d’histoire. C’est le début de la modernité. Le paysage moderne est un morceau d’univers, c’est une façon de voir le monde qui correspond à l’homme tel qu’il se conçoit au XIXe siècle. Pour ce nouvel exercice vivement encouragé qui consiste à fixer les effets de la nature, il faut faire preuve de célérité. C’est donc sur une feuille de papier que le peintre étend ses couleurs. Face à l’universalité de cette pratique, le marché est très attentif aux critères d’attribution, de datation et d’origine, la provenance d’atelier étant la plus recherchée. La demande a toujours été forte pour ces paysages sur nature, d’abord auprès des Anglo-Saxons, et, depuis les années 1970, auprès des institutions et des amateurs français. Ces petites huiles sur papier, rattachées par leur conception même ainsi que par leur support au marché du dessin, se négocient suivant la qualité de l’œuvre entre 15 000 et 200 000 euros. Corot et Granet, mais aussi Valenciennes, Michallon, Bidauld, Denis et Coignet sont les artistes les plus prisés. Mais les chefs-d’œuvre de peintres plus mineurs intéressent aussi les amateurs. L’Éruption du Vésuve, une petite huile sur papier d’Alexandre Dunouy, a ainsi dépassé la somme de 200 000 dollars (environ 166 000 euros) le 22 janvier 2004 à New York chez Sotheby’s, alors qu’une scène historique de l’artiste n’aurait jamais atteint ce prix. Le choix du sujet prévaut également pour ce marché : le paysage doit être italien plutôt que français, une fabrique peut témoigner de sa domestication (relative) par l’homme. Et surtout, il doit être une source inépuisable de rêves.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°188 du 5 mars 2004, avec le titre suivant : La nature dans l’air du temps

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