Jasper Morrison

Ascenseur pour le pain chaud

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 5 mars 2004 - 522 mots

Qui ne s’est jamais brûlé les doigts en tentant de retirer une tartine grillée coincée au fond du grille-pain ? Cela ne devrait, semble-t-il, plus arriver grâce à ce nouveau modèle imaginé par le designer anglais Jasper Morrison pour la firme Rowenta, filiale du groupe Seb. Son grille-pain est doté d’un chariot motorisé, « une sorte de petit ascenseur qui descend et remonte tout seul le pain », explique Morrison.
Celui-ci est également équipé de trois capteurs photo-électroniques qui mesurent en continu l’évolution de la couleur des toasts, assurant, selon Rowenta, « un grillage à la nuance près ». Bref, plus de manœuvres périlleuses à l’intérieur de l’engin en risquant, à chaque instant, la brûlure. « Mon but était de rendre la vie plus facile », souligne Jasper Morrison. Outre le toasteur, son « Brunch Set » se compose d’une bouilloire et d’une cafetière. Le trait commun à ces trois appareils est l’absence totale de « signes ostensibles ». Mais derrière une façade plutôt lisse, on remarque une foule de détails bien pensés, invisibles à l’œil nu. En ce sens, Morrison pourrait être le fils spirituel de l’Allemand Dieter Rams, chef du design de la firme Braun entre 1961 et 1997, dont la devise était : « Le bon design, c’est le moins de design possible ! » D’ailleurs, certaines créations de Morrison ne sont pas sans évoquer celles de l’ex-pape du fonctionnalisme. Ainsi ce bureau baptisé ATM (Advanced Table Module), lancé, fin 2003, par l’entreprise suisse Vitra. Il s’agit, en fait, d’une simple table et de quelques accessoires relégués sous le plateau, comme un bac de stockage pour les câbles trop longs. « Recycler une forme existante est souvent plus opportun que d’essayer d’en inventer une, constate le designer. En outre, un bureau qui est compliqué à utiliser n’est ni esthétique ni fonctionnel. Le mien ne nécessite aucun mode d’emploi. »
Jasper Morrison possède cette grande aptitude d’aller à l’essentiel : « Mon objectif est d’atténuer l’évidence visuelle du processus de design au profit d’objets plus faciles à utiliser et à vivre à long terme. » Rien d’étonnant alors à ce qu’il œuvre pour la firme japonaise Muji, réputée pour mettre en avant la marque, non ses créateurs. Ses projets nippons, dont un fauteuil, ne seront pas prêts pour le prochain Salon du meuble de Milan, en avril, mais il n’en a cure : « Aujourd’hui, le Salon de Milan est devenu comme une sorte de cirque. Nombre de produits présentés ont été réalisés uniquement pour le show : ils ont été développés trop vite et mal, et sont donc invendables et surtout inutiles. » Derrière une profonde réserve, Morrison a une conviction : « Le design devrait être plus modeste. Il ferait un grand pas en avant s’il pouvait déjà satisfaire correctement les besoins de la vie de tous les jours, au lieu de vouloir changer le comportement humain. » Question d’ego sans doute.

À lire : Jasper Morrison, Everything but the Walls, éd. Lars Müller Publishers, 2002, 240 p., 58 euros. « Brunch Set » de Rowenta : Bouilloire : 100 euros, grille-pain : 130 euros, cafetière : 150 euros.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°188 du 5 mars 2004, avec le titre suivant : Ascenseur pour le pain chaud

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