Photographie

Histoire

Photographier la guerre d’Algérie

Par Michel Frizot · Le Journal des Arts

Le 5 mars 2004 - 811 mots

PARIS

Un bilan des représentations photographiques de la guerre d’Algérie est présenté à l’hôtel de Sully, à Paris, dans une exposition qui se révèle simpliste.

PARIS - Comment penser explorer une telle zone d’ombre que la guerre d’Algérie, tabou du passé colonial le plus récent, en 158 photographies et documents ? C’est la gageure qu’ont voulu tenir les commissaires de cette exposition, Laurent Gervereau et Benjamin Stora, respectivement spécialiste des images et historien reconnu du Maghreb. Le problème se situe d’abord entre l’abondance des images, leur partialité et le choix restreint qui est permis ; le lieu (le sous-sol de l’hôtel de Sully) montre toujours les mêmes limites et aussi peu d’attraits (le ministère de la Culture le conserve pourtant en annexe du projet de la Galerie du Jeu de paume). Pour dire les choses avec quelque justesse, il faudrait des explications plus abondantes, plus précises et mieux articulées avec ce qui a été sélectionné, alors que les salles ne permettent pas même d’installer clairement les trois interrogations retenues : quels photographes interviennent ? quelles insuffisances se manifestent ? quelles images furent diffusées ? Le premier handicap tient au principal producteur d’images photographiques, l’armée française, sous les auspices du service cinématographique des Armées (120 000 clichés viennent de l’établissement de communication et de production audiovisuelle de la Défense), pour lequel travaillent des engagés et des appelés qui ne s’éloignent guère de la doxa officielle des « opérations » (nettoyage et éducation). Deux cas particuliers émergent : le sergent-chef Flament, enrôlé par Bigeard comme son photographe dévoué, à qui l’on doit les images de terrain les plus fortes, au sein des unités parachutistes (réunies ensuite dans plusieurs livres, dont Aucune bête au monde…, 1959) ; Marc Garanger, dont on connaît les portraits d’identité de femmes contraintes (publiés en 1982 sous le titre Femmes algériennes). En fait, les agences internationales ne sont pas présentes, car les journaux ne s’intéressent pas à l’iconographie de ce conflit, et Magnum envoie un Hollandais, Kryn Taconis, dont le reportage  en 1957 dans les rangs de l’ALN (Armée de libération nationale) sera occulté, sans doute parce qu’il montre une armée organisée et efficace (mais il est difficile d’évaluer l’aspect fictif du reportage).

Censure iconique
La question à analyser concerne donc davantage ce qui ne pouvait être photographié, par absence de photographe (les moments de combats, la torture, « l’autre camp ») plutôt que ce qui est à voir dans chaque cliché. Les historiens ont encore à réfléchir sur ce qu’est la photographie (qu’ils découvrent depuis peu, en fait), sur les multiples critères qui en font à la fois une image redondante et pleine de renseignements datés, sur les divers statuts des photographes, qui conforment les images à ce que différentes autorités en attendent. La réticence de ces autorités à des regards étrangers (comme celui de l’Américaine Dickey Chapelle en 1957) maintient une forme de censure iconique que l’on retrouve à propos des massacres lors de la manifestation du 17 octobre 1961 à Paris : une série d’images inédites a été retrouvée dans les anciennes archives de France-Soir, mais ne peut être reproduite. Le décalage est manifeste entre les interrogations de notre temps, les possibilités photographiques d’un instant révolu, aussi bien que les motivations qui ont suscité une prise de vue.
Les fonds d’amateurs, constitués par des appelés, encore peu accessibles, demanderont aussi un autre décryptage. Dans une exposition où se superposent le questionnement de l’historien et le besoin pédagogique, devant des images quasi muettes, la génération contemporaine de la guerre sera frustrée, quand les jeunes risquent de ne pas comprendre ce qu’ils voient. Et quand bien même une image significative existe, elle n’est pas nécessairement diffusée par la presse ; là encore il faudrait un grand déploiement de magazines pour saisir la place de la guerre d’Algérie dans les médias français, en particulier dans Paris-Match (diffusé à l’époque à 1 500 000 exemplaires), Radar, et Noir et Blanc, afin d’avoir quelque idée de la perception de la guerre par la population (Match a ses propres reporters, se frottant peu à l’armée, et donnant une vision urbaine de la guerre). Cette dernière partie de l’exposition est la plus faible, ne faisant pas le lien avec ce que l’on a vu précédemment.
Le livre-catalogue publié à cette occasion (à paraître courant mars) permet des analyses plus subtiles et développées – malgré l’insuffisance de certains textes – avec des participations éclairantes (Abdelmadjid Merdaci sur les photographies du côté algérien) et une synthèse sur les livres de photographies de cette guerre. Reste à savoir si nous ne serions pas devenus trop exigeants à l’égard de la photographie, témoin suprême, après l’avoir si longtemps dédaignée.

PHOTOGRAPHIER LA GUERRE D’ALGÉRIE

Jusqu’au 18 avril, hôtel de Sully, 62, rue Saint-Antoine, 75004 Paris, tél. 01 42 74 47 75, tlj sauf lundi 10h-18h30. Cat. (à paraître), éd. Marval, 2004, 185 ill., 176 p. ISBN 2-86234-378-1, 50 euros.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°188 du 5 mars 2004, avec le titre suivant : Photographier la guerre d’Algérie

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