Hervé Aaron - Antiquaire

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 19 mars 2004 - 1354 mots

L’antiquaire Hervé Aaron a su déjouer les pièges de l’héritage. Tout en préservant l’esprit de l’enseigne paternelle, il a imprimé sa personnalité au sein du Syndicat national des antiquaires comme au Salon du dessin.

Quoi de plus difficile que d’être le fils de son père, d’en subir la comparaison, l’autorité ! Le syndrome Woody Allen – version père – est une constante du marché de l’art, où les pères ne passent le flambeau que timidement, après des épreuves du feu dont certains enfants ne sortent pas indemnes. Fils du grand antiquaire Didier Aaron, Hervé Aaron a réussi à se faire plus qu’un prénom, une saine réputation. Certains verraient d’ailleurs bien en lui le futur président du Syndicat national des antiquaires. Un consensus teinté de bémols. Ses proches regrettent son manque de fermeté, sa tendance à arrondir les angles. « C’est quelqu’un qui sait avoir une vraie action syndicale, en étant à l’écoute. Mais j’aurais un souhait : qu’il s’affirme plus, même s’il doit à ce prix se faire plus d’ennemis », confie le marchand de tapisseries Dominique Chevalier. Son ami de longue date Henri de Castres, P.-D. G. du groupe AXA, voit en lui un homme « profond, gentil et discret, qui ne cherche pas à se mettre en avant. Son défaut, c’est de douter quelquefois de lui-même ». D’autres déplorent sa politique de petits pas, plus proche de la tortue que du lièvre.

« Je deviens sharp »
Hervé Aaron a toujours cherché à la fois à respecter et à déjouer le formatage paternel. S’il n’est pas l’autodidacte au chemin taillé à la serpe des Puces aux beaux quartiers, il n’est pas pour autant le fils à papa. Élevé dans la curiosité des objets d’art, cultivé par une grand-mère au caractère bien trempé, le jeune Hervé était en 1968 un révolté. Cheveux à mi-chemin entre Jimmy Hendricks et les Jackson Five, chef du comité de grève au lycée Janson de Sailly (Paris), il participait activement aux manifestations. L’ascendant paternel le dirige vers une maîtrise d’économie à Dauphine et une licence d’histoire de l’art. Sa maîtrise, laissée en friche, porte sur la théorie de la couleur, de Baudelaire à Delaunay. Il fréquente parallèlement les cours du philosophe Jean-François Lyotard. L’étudiant pensait alors ouvrir une agence de publicité. Mais le père le fait rentrer dans les rangs. « Le fait d’être héritier supprime normalement le désir et l’énergie nécessaires à ce métier. Hervé n’a sans doute pas eu ce moteur d’être antiquaire au départ, mais il s’est adapté », observe un galeriste.
Hervé Aaron travaille à mi-temps dans la galerie paternelle, s’occupant avec Jean-Philippe Mariaud de Serres de la section archéologie. En 1975, il est missionné pour ouvrir l’antenne paternelle à New York. Il y restera dix-sept ans. « J’ai eu beaucoup de mal au début. New York est une ville très dure. Les dimensions ne sont pas humaines, le rythme intense, rappelle-t-il. Mais c’est une ville que j’adore. Depuis que je suis devenu parisien, quand j’y retourne, les premiers jours je déprime, je me sens inutile, le rythme est trop rapide. Puis la machine se met en branle et je deviens sharp [vif, incisif]. Si j’avais fait un autre métier, j’y serais resté. » Personnalité complexe, il n’en apprécie pas moins l’approche directe des Anglo-Saxons. Si la galerie américaine est dans un premier temps une copie conforme de l’enseigne parisienne, elle évolue peu à peu vers le XIXe siècle avec quelques escapades dans le XXe. Le Frenchy à l’accent à couper au couteau séduit les Américains. « Il suffisait qu’il dise trois mots pour avoir dix lignes dans le New York Times. Il a eu une meilleure presse aux États-Unis qu’il n’en a jamais eue en France », souligne un familier. En 1979, Hervé Aaron organise une exposition autour de Ruhlmann, puis sur le mobilier anglais et américain. Son éclectisme papillonne de l’exposition Biedermeier au meuble en acajou animalier William IV en passant par le mobilier victorien américain. Un goût en avance sur son temps, mais une réussite commerciale plus fluctuante malgré une gestion irréprochable. « Les expositions avaient du succès, mais je n’ai pas su exploiter le filon. Je me suis donné beaucoup de mal pour que cette boîte marche. Elle n’était pas financée par mon père. Ce n’était ni un joujou ni une danseuse », insiste Hervé Aaron.

Vitesse de croisière
Didier Aaron multiplie les appels du pied pour que le fils prodigue regagne le nid parisien. Ce sera chose faite en 1993. Le formatage dynastique ne lui laisse que peu de choix. À son arrivée, Hervé Aaron est supposé prendre les commandes, mais il doit jouer sur du velours. On l’attend au tournant, dans les maisons voisines, mais aussi à l’intérieur. Car le père a entre-temps deux fils « spirituels », le brillant spécialiste en mobilier Bill Pallot et le décorateur à succès Jacques Grange, lesquels, tout en étant indépendants, logent sous l’enseigne Aaron. Difficile de se ménager une place dans ce trio sans bousculer l’ordre établi. Vif mais peu belliqueux, Hervé Aaron maintient les équilibres, conserve les domaines qui fonctionnent, met sans doute son propre goût en sourdine. « Au départ, il voulait tout contrôler, mais il a compris au bout de six mois que le coup de pied dans la fourmilière, ça ne marche pas, rappelle Bill Pallot. Avant, quand je découvrais un meuble, mon réflexe était d’aller voir le père. Depuis un an, c’est Hervé que je vais voir. Mais pour les très beaux meubles, la décision se prend à trois. Hervé a hérité d’une des grandes qualités de son père, savoir déléguer. » Pour Jacques Grange, le fils est plus sentimental que le père, âpre en affaires et en son temps « grande gueule » : « Le père est pour moi le protecteur, le fils, le copain. »
Hervé Aaron est plus intéressé par la peinture que par le mobilier français. Qu’importe ! Laissant à Bill Pallot son pré carré, il active le département peinture qui, voilà cinq ans, ne représentait que 10 à 15 % du chiffre d’affaires global contre un tiers de l’activité aujourd’hui. Sans surprise, c’est ce domaine qu’il a mis en avant à la foire Tefaf Maastricht.
L’enseigne porte toujours le nom du père, le fils s’accommodant d’un « et Cie ». Malgré tout, Hervé Aaron a trouvé sa vitesse de croisière et ses marques. « J’adore ce métier, mais je n’ai pas autant de temps qu’un vrai antiquaire. Je suis un peu plus chef d’entreprise, gérant trente employés. Mais il n’y a pas un objet acheté dans la maison que je n’aie validé », confie celui qui possède un des plus gros stocks parisiens. L’éclectisme dont il a fait preuve à New York a moins droit de cité à Paris. Il a toutefois initié l’inflexion récente vers le XIXe siècle. C’est aussi lui qui, à la suite de l’antiquaire Patrick Perrin, a hissé le Salon du dessin au rang d’institution. « Il a apporté au Salon le prestige de son nom, la garantie de sérieux. Grâce à lui, des étrangers sont venus. Il a su créer un climat où tout le monde a réussi à se retrouver », déclare Bertrand Gautier, codirecteur de la galerie Talabardon & Gautier. L’avenir, Hervé Aaron le voit éclectique et pragmatique : « L’effort sera constant sur les tableaux et les dessins. Je veux redévelopper le réseau de courtiers, ne fermer la porte à rien. Je ne perds pas espoir de refaire de l’Art déco, de la grande peinture XIXe ». Reste à voir quelle sera la future physionomie de cette enseigne réputée insubmersible. « Il va maintenir cette maison à flot, mais gardera-t-elle la passion absolue qu’elle avait ? », s’interroge un confrère. Sans doute. Car si Hervé Aaron n’est pas homme à montrer ses crocs, il fourmille d’idées et d’enthousiasme. Il a surtout compris une chose : l’ère des dinosaures est révolue.

Hervé Aaron en 4 dates

1951 : Naissance à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine).

1975 : Départ pour New York. Ouverture de l’antenne Didier Aaron.

1993 : Retour à Paris.

2004 : Vente du tableau de Titien du groupe AXA au J. Paul Getty Museum, à Los Angeles.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°189 du 19 mars 2004, avec le titre suivant : Hervé Aaron - Antiquaire

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