Art moderne

Le premier Miró

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 19 mars 2004 - 855 mots

Consacrée aux premières années d’activité de Joan Miró, l’expositiondu Centre Pompidou revient sur la jeunesse et la genèse du peintre.

 PARIS - Ce sont les trois Bleus signés par Miró en 1961 qui concluent l’exposition consacrée au peintre par le Centre Pompidou. Pourtant, en se concentrant sur les années 1917-1934, la manifestation, qui regroupe plus de deux cents œuvres – dont une centaine de tableaux –, est loin de l’apaisement d’un triptyque aussi hors sujet que la préciosité de la scénographie. Il y a en effet peu de « bleu du ciel » ici, mis à part celui de Georges Bataille. Le Miró de ces années n’est pas le vieux maître catalan appliquant ses recettes virtuoses, mais un jeune homme qui mise sur la dépense et les tensions, et prend part aux débats de la revue Documents. À Paris, Miró ne quitte pas Michel Leiris, et son atelier fait face à celui de Masson. « La naissance du monde », le titre choisi pour l’exposition, vaut bien sûr pour la mise en place par Miró de son vocabulaire plastique, mais il désigne aussi une toile de 1925, habituellement conservée au Museum of Modern Art de New York. Pas de plénitude, ici, mais un fond de crachats informes, des éclaboussures de boue ou de sang vieilli. « Ces immenses toiles qui avaient l’air moins peintes que salies, troubles comme des bâtiments détruits, aguichantes comme des murs délavés sur lesquels des générations de colleurs d’affiches, alliés à des siècles de bruine, ont inscrit de mystérieux poèmes, longues tâches aux configurations louches, incertaines comme des alluvions venues d’on sait d’où, sables charriés par des fleuves au cours perpétuellement changeant, assujettis qu’ils sont au mouvement du vent et de la pluie », écrira Michel Leiris en octobre 1929 dans la revue Documents.
La série dont traite l’auteur de l’Âge d’homme se place à peu près à mi-parcours de l’exposition, mais elle n’en constitue pas pour autant un épisode central. Difficile de suivre une voie linéaire dans le déroulement de l’œuvre de Miró, tant son évolution se fait en zigzag constant avec retours et détours. Il est toutefois un peu plus facile d’en déceler les fondements. Né à Barcelone en 1893, Miró suit une formation en école d’art et, dès 1912, se trouve au fait des avancées picturales parisiennes. Il regarde Matisse, Juan Gris et Picasso bien sûr – son Nu debout (1918) est une demoiselle cubiste sur un arrière-plan d’arabesques matissiennes – mais aussi un autre compatriote, Picabia, qui l’emmène vers Dada et lui fait considérer Duchamp. Parallèlement, Miró cultive la vision « primitive » qu’il a eue à la ferme de Montroig (sur la Costa Dorada, en Espagne), où il réside l’été, même après son installation à Paris en 1920. La Ferme de 1922 synthétise une fausse naïveté figurative avec l’ordonnancement d’éléments primordiaux : le carré rouge dans lequel s’inscrit le poulailler, le cercle noir d’où sort l’arbre. Une année plus tard, la Terre labourée fourmille d’un bestiaire en aplat, symptomatique de la décantation opérée par l’artiste, qui, en optant pour des fonds unis, relie peinture et dessin. Le Baiser de 1924 surprend par sa pureté mais aussi par sa décharge, une touche de rouge électrique joignant deux éléments fusionnels. Hormis cette avancée, le reste n’est que liberté, qu’il s’agisse de l’usage du texte (Peinture-poème (« Musique Seine Michel, Bataille et moi »), 1927), de la quasi-monochromie (Peinture, 1925) ou d’une polychromie nébuleuse (Peinture (Tête), 1927). « Mon unique certitude est que je veux détruire, détruire tout ce qui existe en peinture. J’éprouve un profond mépris pour la peinture, seul l’esprit pur m’intéresse », déclare l’intéressé au début des années 1930. Dans la période précédente, les collages se multiplient et l’usage du papier goudron leur procure une matérialité terrienne.

Remontée aux origines
Reliefs exacerbés, Construction et Relief Constructions (1930) s’éloignent eux de la peinture par l’ajout d’éléments saillants, voire agressifs. Parfois marquée par des attaques directes de la toile, la volonté de destruction de Miró est fortement ancrée dans le contexte intellectuel de l’époque. Une idée qui, par le rituel du potlatch, rejoint l’attrait du primitif, comme le précise le texte de Rémi Labrusse dans le catalogue : « Cette remontée rêvée aux origines qui frappe dans l’œuvre de Miró ne s’appuie sur aucun parallèle formel précis – plutôt sur cette idée d’une primitivité inactuelle, singulier creuset de référence, où, dès lors que s’y brise toute idée d’un dialogue identifiable (comparable, par exemple, à celui qu’avaient entretenu Matisse avec l’art islamique ou Picasso avec les arts africains), c’est donc le mythe d’une présence immédiate des origines qui s’impose et autoritairement fascine. » En s’achevant sur les grandes Peintures de 1933, l’exposition fait, bien sûr, le pari d’un Miró visionnaire, sentant venir la guerre d’Espagne et la montée du fascisme. Elle montre surtout en confrontant collages et toiles, peintures et objets, un acteur central des avant-gardes des débuts du siècle.

JOAN MIRO 1917-1934, LA NAISSANCE DU MONDE

Jusqu’au 28 juin, Centre Pompidou, galerie 1, place Georges-Pompidou, 75004 Paris, tél. 01 44 78 12 33, tlj sauf lundi, 11h-21h, 11h-23h le jeudi, www.centrepompidou.fr. Catalogue, éditions du Centre Pompidou, 420 p., 39,90 euros.

Miró jusqu’en 1934

1893 Naissance à Barcelone. 1912 Cours à l’Escola d’Art de Francesc GalÁ­. 1918 Première exposition personnelle, galerie Dalmau, Barcelone. 1920 Installation à Paris. Sympathise avec Leiris, Bataille et Masson. 1925 Breton se rend dans l’atelier de Miró ; 12 juin, exposition à la galerie Pierre (Loeb), à Paris. 1926 Collabore avec Max Ernst pour les costumes et décors de Roméo et Juliette, donné par les Ballets russes à Monte-Carlo. 1928 Parution du Surréalisme et de la peinture de Breton, propos ambigus de l’auteur sur Miró. 1929 Article de Michel Leiris dans Documents rapprochant Miró de la « mythologie primitive ». 1931 Miró prend ses distances avec le Surréalisme. 1932 Commande des Ballets russes pour Jeux d’enfants. 1934 Participation à l’exposition « Abstrakte Malerei und Plastik : Hans Arp, Max Ernst, Alberto Giacometti, José Gonzalez, Juan Miró » au Kunsthaus de Zurich.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°189 du 19 mars 2004, avec le titre suivant : Le premier Miró

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