Architecture

Matali Crasset

Une micro-architecture pigeonnante

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 2 avril 2004 - 579 mots

En avril, avec l’arrivée des beaux jours, une activité gentiment désuète refait surface en France, et en particulier dans le Nord - Pas-de-Calais, région réputée pour sa colombophilie : les concours de pigeons voyageurs. 

Les volatiles auront droit, cette année, à un point de chute plutôt original : un drôle de pigeonnier, baptisé Capsule (1), imaginé par la designeuse Matali Crasset et planté sur la base de loisirs du Val du Riot à Caudry (Nord), à une quinzaine de kilomètres de Cambrai. De loin, la construction ressemble, en à peine moins pointu, au vaisseau spatial du Voyage dans la lune de Méliès. Ou, plus trivialement, à un énorme dé à coudre. L’œil est immanquablement attiré par sa couleur, orange intense. « Cette couleur orange s’est imposée d’elle-même, explique Matali Crasset. Elle rappelle non seulement celle de la brique, matériau emblématique du Nord, mais elle est aussi la couleur complémentaire du vert, présent ici en force au travers d’une nature abondante. Le cahier des charges demandait que le pigeonnier soit visible alentour : il l’est tel un gyrophare. »

Sa structure est des plus élémentaires. Au centre, un mât métallique en forme de tronc d’arbre étire ses quelques branches. Vient s’y agripper une double charpente constituée de lamelles de bois résistantes à l’humidité et disposées comme les baleines d’un parapluie. Enfin, une « cloche » de protection, réalisée pour moitié en bois – les parois verticales – et pour moitié en résine – le dôme –, vient recouvrir l’ensemble. À l’extérieur, certaines « branches » transpercent l’édifice. Sur l’une d’elles, on remarque une sorte de piste d’envol. Sur une autre est suspendu un cube de bois peint en rouge : il s’agit de l’infirmerie où les pigeons de passage sont mis en quarantaine, afin d’éviter la transmission de maladies à l’ensemble de la communauté. Avec ses six mètres de haut et cinq de diamètre, le pigeonnier, qui pèse trois tonnes, peut accueillir quelque 60 locataires.

Son originalité est qu’il est accessible au public, car le lieu a une vocation pédagogique. Le visiteur, séparé des perchoirs par un simple grillage, y trouve notamment des fiches didactiques sur l’univers impitoyable de la colombophilie. « Cette activité est pleine d’ambiguïté dans le rapport à l’animal, observe Matali Crasset. [Il est] à la fois très direct, l’oiseau est élevé et choyé comme un animal domestique, [et] en même temps, on ne s’embarrasse pas pour le passer à la casserole s’il n’est pas performant. » La colombophilie, qui consiste donc à élever et surtout à dresser les pigeons voyageurs, repose sur le sens de l’orientation exceptionnel de ces oiseaux. Les « compétitions », en l’occurrence concours de vitesse, de fond, de demi-fond et de grand-fond, se déroulent généralement sur des distances de 100 à 1 000 kilomètres. Un pigeon peut parcourir plus de 1 200 kilomètres en seize heures. Les samedis et dimanches, d’avril à septembre, la radio France-Bleu-Nord annonce en direct, à heures fixes, les « lâchers de pigeons ». Bref, les colombophiles ch’timis sont aux anges. Entre ceux du Cambrésis et leur pigeonnier design, ce ne sont, pour l’heure, que roucoulades...

(1) Réalisé dans le cadre du programme « Nouveaux commanditaires de la Fondation de France » et inauguré en novembre 2003, le pigeonnier Capsule a coûté 69 500 euros TTC (Fondation de France, conseil régional du Nord - Pas-de-Calais, Union européenne (Feder) et Ville de Caudry, avec un partenariat de la société Francial).

Le Pigeonnier, capsule. Matali Crasset, éd. artconnexion/Pyramyd, 16 euros.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°190 du 2 avril 2004, avec le titre suivant : Une micro-architecture pigeonnante

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