Enquête

Rendre publique l’architecture

Par Gilles de Bure · Le Journal des Arts

Le 2 avril 2004 - 1385 mots

L’IFA, le Centre Pompidou et le Pavillon de l’Arsenal à Paris, et Arc en rêve à Bordeaux proposent au public un riche programme d’expositions consacrées à l’architecture. Portrait de leurs quatre directeurs.

De tous les arts, l’architecture est, sans conteste, le plus présent, le plus prégnant. Chacun, savant ou ignorant de l’écriture architecturale, y est confronté quotidiennement. Réflexion, dilection, usage et contraintes conjugués.
Pour autant, sa diffusion, sa mise en lumière et en perspective ou son accès sont le plus souvent confinés au plus profond d’un langage codé (expositions, publications, conférences…) orienté vers les seuls « professionnels de la profession ». Comme si le milieu dans son ensemble, et malgré sa volonté proclamée d’aller au plus grand nombre, s’évertuait à demeurer dans son « pré carré » et à en protéger – sinon à en interdire – l’entrée.

« Étape décisive »
Pourtant, les choses semblent devoir et peut-être vouloir changer.
Le vendredi 13 février, on annonçait la nomination de Francis Rambert à la présidence de l’Institut français d’architecture (IFA). Puissance tutélaire de l’IFA, le ministre de la Culture, Jean-Jacques Aillagon, déclarait : « Il s’agit là d’une étape décisive dans la mise en œuvre de la Cité de l’architecture et du patrimoine. » Cité en devenir et qui contiendra entre autres le Musée de l’architecture et l’IFA. Lequel IFA en sera le fer de lance, la tête chercheuse, le découvreur et le fédérateur.
Après la démission, en novembre 2003, de Jean-Louis Cohen, chef de la mission de préfiguration de la Cité, et la fin du mandat de Florence Contenay, présidente de l’IFA, au 31 janvier 2004, on s’interrogeait sur l’avenir de l’ensemble. Et de fait, l’arrivée de Francis Rambert apparaît décisive. Journaliste, fondateur du magazine D’Architecture en 1989, critique d’architecture au Figaro depuis 1990, celui-ci n’est pas ce qu’il est convenu d’appeler un « architecte de papier ». Après des études de lettres, d’anglais et d’histoire de l’art, il voyage autour du monde. Encore aujourd’hui, il affirme : « La véritable école, c’est le voyage. » Sac posé, il s’immerge en architecture et témoigne très vite de son éclectisme et de sa largeur de vue. De Ciriani à Nouvel, en passant par Gaudin ou Gautrand, tout l’intéresse sauf les clans, les chapelles et les coteries. Il publie des livres consacrés à des talents aussi divers, voire divergents, que Fuksas, Vasconi ou encore Wilmotte et conçoit des expositions dont les titres parlent pour eux : « Paysages de la mobilité », « La ville en mouvement »…
Dès l’annonce de sa nomination, Francis Rambert déclare : « Ouverture oblige, c’est un rôle actif, créatif plus qu’administratif… Je conçois d’agir comme un directeur artistique qui conduit également une ligne éditoriale. Travailler sur les contenus, tel est l’enjeu, et opérer sur le lisible et le visible dans un souci d’approche accessible de la culture de l’architecture contemporaine. »
Sous cette déclaration, légèrement et nécessairement pompeuse, se cachent d’autres mots qui sont la marque du nouveau président : ouverture, option création, non-discrimination, curiosité, appétit, goût du partage, clarté du propos… D’autant que, dans la partie du milieu architectural qui bouge, vibre, crée et espère, sa nomination est aujourd’hui considérée comme une victoire collective. Nombreux sont ceux qui s’en sont déjà réjouis : des « icônes » tels Claude Parent ou Bernard Tschumi, des « stars » comme Jean Nouvel, Dominique Perrault ou Christian de Portzamparc, des « valeurs sûres » tels Valode et Pistre ou Vasconi, des « irréguliers » à l’instar d’Odile Decq ou de Rudy Ricciotti, des « valeurs montantes » à l’image des très jeunes Beckmann et N’Thépé… Tout le monde attend beaucoup de Francis Rambert qui prendra ses fonctions en avril.
« Une étape décisive » certes, d’autant que, depuis trois ans, d’autres nominations sont intervenues qui enrichissent considérablement le champ de diffusion de la culture et de la réalité architecturale.
Celle de Frédéric Migayrou tout d’abord, arrivé au Centre Pompidou en octobre 2000 en tant que conservateur en chef de l’architecture et du design, et auquel on doit la passionnante exposition « Architecture non standard » (lire le JdA n° 184, 9 janvier 2004) qui vient de s’achever. Philosophe de formation, il est l’initiateur d’Archilab, à Orléans, où se dévoilent chaque année les recherches les plus pointues en la matière, et l’auteur de nombreuses publications. Il prépare actuellement d’autres expositions consacrées à Robert Mallet-Stevens (2005) et à Richard Rogers (2006), affirmant : « Dans la stratégie d’une exposition, il y a un enjeu essentiel qui est celui d’une réflexion de et sur l’esthétique contemporaine. » Manière de préciser que son département s’inscrit dans la logique du Musée national d’art moderne dont il dépend. Il convient donc, ici, de situer l’architecture dans un contexte avant tout intellectuel, artistique et culturel, et dans une dimension européenne et internationale. Pour autant, sa mission de diffusion n’occulte en rien son travail sur les collections qu’il enrichit depuis trois ans avec sagacité et constance. À son actif, entre beaucoup d’autres, le Modulor de Le Corbusier élevé au rang, une première en France, de « trésor national ».
À noter également la nomination de Dominique Alba à la tête du Pavillon de l’Arsenal, vitrine architecturale de la Ville de Paris, fondé par Ann-José Arlot en 1988 dans un somptueux bâtiment métallique de la fin du XIXe siècle. Comme pour Francis Rambert et Frédéric Migayrou, le voyage, l’exploration et la découverte semblent être des vertus cardinales chez Dominique Alba. Arpenteuse de l’Afrique et de l’Amérique latine, Dominique Alba est une architecte particulièrement impliquée dans la vie de la cité. En avril 2001, elle rejoint le cabinet de Bertrand Delanoë à la Mairie de Paris avant de prendre la direction de l’Arsenal en juin 2003. Changement de cap ? Certes non, simplement un désir de « tangible ». C’est que l’Arsenal, diffuseur (expositions, publications, colloques, rencontres…), est également acteur de la ville en tant que conseil et prescripteur. Première action, la refonte totale de l’exposition permanente consacrée à l’histoire et à l’actualité de Paris. Un découpage d’une grande intelligence et d’une absolue clarté parfaitement mis en scène par l’architecte Finn Geipel. Et puis, dès la rentrée 2003, quelques ténors tels Daniel Libeskind, Jean Nouvel, Dominique Perrault ou Christian de Portzamparc, venus se confronter à la réalité du monde. C’est cette réalité que veut faire apparaître Dominique Alba à l’Arsenal. Réalité architecturale prioritairement, mais aussi réalité politique, sociale, économique et culturelle. Trois grandes expositions annuelles, patrimoine, prospective et architecture, vont venir conforter son engagement et être vues et comprises par les 150 000 visiteurs annuels de l’Arsenal.

Arc en rêve menacé
À Bordeaux, ce n’est pas d’une nouvelle arrivée qu’il s’agit, mais d’une implication de vingt-quatre ans. Celle de Francine Fort, fondatrice et directrice d’Arc en rêve, qui a réussi à créer, en province, un centre de diffusion architecturale célèbre et célébré dans le monde entier. La première exposition consacrée en 1983 à Massimiliano Fuksas affirme d’emblée la vocation internationale d’Arc en rêve. Dans le même temps, son travail de pénétration vers les publics, et surtout les scolaires, en font un outil local incomparable. Ce qui vaudra à Francine Fort le poste de chargée de mission pour l’architecture et l’urbanisme, de 1990 à 1995, auprès de Jacques Chaban-Delmas, maire de Bordeaux. Contrat non renouvelé par Alain Juppé qui a néanmoins maintenu la subvention municipale à Arc en rêve.
En tandem avec Michel Jacques, Francine Fort a fait « décoller » sa petite structure installée au sein du magnifique entrepôt Laîné, la transformant en laboratoire d’idées, éditeur pointu, organisme d’import-export de l’architecture. Dispositif à mi-chemin entre l’IFA et l’Arsenal, Arc en rêve est aujourd’hui menacé. Au-delà de sa seule influence sur la qualité architecturale propre à Bordeaux, son rayonnement est immense. Mais, si aucun relais financier n’intervient dans un avenir immédiat, Arc en rêve fermera ses portes à la fin de l’année 2004. Ce qui serait un comble au moment où, justement, la scène française se transforme radicalement et s’ouvre au plus large. Car ces quatre établissements spécifiques, IFA, Centre Pompidou, Pavillon de l’Arsenal et Arc en rêve ont un rôle réel de complémentarité à jouer. Et, si un seul d’entre eux venait à disparaître, l’équilibre serait rompu.
D’autant que les quatre personnalités singulières qui les animent, Francis Rambert, Frédéric Migayrou, Dominique Alba et Francine Fort, portent en elles une infinité d’espérances et de possibles.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°190 du 2 avril 2004, avec le titre suivant : Rendre publique l’architecture

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