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Les sciences du patrimoine en difficulté

Le Journal des Arts

Le 2 avril 2004 - 760 mots

Alors que plus de trois milliers de chercheurs ont démissionné de leurs fonctions administratives, les scientifiques spécialisés dans l’art et le patrimoine se mobilisent également.

L’actuelle mobilisation des scientifiques concerne-rait-elle les seuls chercheurs en sciences physiques, chimie, médecine ou biologie ? Tel est du moins le sentiment qui domine dans les articles et reportages consacrés dans la presse depuis plusieurs semaines à cette question. En réalité, l’ensemble de la communauté savante, en sciences dures comme en sciences humaines, est touché par « l’asphyxie de la recherche publique » dénoncée par le collectif « Sauvons la recherche ». Le monde de la recherche s’est mobilisé à l’appel de ce même collectif, qui est à l’initiative d’une « lettre ouverte au gouvernement » mise en ligne sur Internet (1). Ayant à ce jour recueilli plus de 300 000 signatures, et enregistré la démission (de leurs fonctions administratives) de 1 455 directeurs et plus de 2 000 chefs d’équipe, cette pétition a cristallisé les inquiétudes de nombreux chercheurs de l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) ou de l’INRA (Institut national de la recherche agronomique), mais aussi de scientifiques actifs dans le domaine du patrimoine. Directeurs de recherche en sciences humaines à l’université, chercheurs à la Maison de l’archéologie et de l’ethnologie, doctorants ou post-doctorants en histoire de l’art, chercheurs associés à l’INHA (Institut national d’histoire de l’art), conservateurs de musées ou responsables de laboratoires d’archéologie figurent ainsi parmi les signataires de cette lettre. D’autres scientifiques ont choisi de souscrire à l’appel spécifique diffusé sur Internet pour les sciences humaines et sociales, et intitulé « Qui veut la mort des SHS ? (2) ». « Alors que la demande d’expertise en sciences humaines et sociales est en constante augmentation dans l’action publique, les SHS sont aujourd’hui les plus mal loties de la politique de recherche », déplorent les signataires de ce texte.
Il paraît en outre difficile, compte tenu de la complexité actuelle de la recherche, d’établir une frontière hermétique entre sciences dures et sciences humaines, certains scientifiques se situant précisément à l’intersection de ces deux domaines. C’est le cas en particulier des chercheurs en « sciences des matériaux du patrimoine », discipline émergente qui, comme l’affirme Jean-Pierre Mohen, directeur du C2RMF (Centre de restauration et de recherche des musées de France), « est devenue un domaine en soi ». « Ce ne sont plus tant des applications d’une autre science qu’une véritable méthodologie », estime le scientifique, qui s’inquiète du manque de postes et des problèmes d’insertion professionnelle de ces profils interdisciplinaires. « L’interdisciplinarité n’est pas prise en compte du tout par les institutions. Les étudiants qui suivent une double formation, à l’interface entre “lettres” (histoires de l’art, archéologie, histoire) et sciences (physique, chimie ou biologie), se trouvent en porte-à-faux dans l’une des deux disciplines choisies. C’est vrai au CNRS, mais aussi à l’université. »
De trop rares passerelles existent par ailleurs entre ces deux champs scientifiques. « Vous êtes par exemple en archéologie à Paris-I, et voulez compléter votre cursus par une formation doctorale en sédimentologie ou en géologie au Muséum d’histoire naturelle : eh bien, c’est quasiment impossible ! », regrette le chercheur. Un sentiment partagé par Martine Regert, chargée de recherche au CNRS et directrice démissionnaire du groupement de recherche (GDR) « Chimie et art », cofinancé par le CNRS et le ministère de la Culture. Agrégée de chimie et docteur en sciences humaines, cette spécialiste des matériaux organiques archéologiques réclame un meilleur financement de la recherche, « qui a été problématique en 2003 », et une programmation de l’emploi des chercheurs à long terme, « très peu de perspectives s’offrant actuellement aux jeunes chercheurs en DEA, en thèse ou en post-doctorat ». « La relation entre le CNRS et l’université est problématique, renchérit Jean-Pierre Mohen. Les effectifs du CNRS sont restés stables en quinze ans, mais, dans le même temps, ceux de l’université ont doublé tandis que ceux des étudiants ont été multipliés par six… » Martine Regert dénonce également la pénurie des ingénieurs et techniciens administratifs (ITA) dans les laboratoires. « Il arrive souvent qu’au cours d’une même journée un chercheur doive changer une bouteille de gaz, écrire un projet de thèse pour décrocher un financement pour un doctorant, rédiger un article scientifique et expertiser un dossier tout en contrôlant une manipulation en laboratoire », raconte la jeune femme, qui compte bien faire entendre ses revendications avant la discussion, à l’automne prochain, de la loi de programmation et d’orientation de la recherche annoncée par le président de la République.

(1) www.recherche-en-danger.apinc.org
(2) www.recherche-en-shs.apinc.org

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°190 du 2 avril 2004, avec le titre suivant : Les sciences du patrimoine en difficulté

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