Trois questions à

Jean-Claude Vrain, libraire parisien

« Se laisser guider par ses goûts personnels »

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 16 avril 2004 - 621 mots

Comment se porte le marché des livres anciens ?
Les livres et autographes de qualité se vendent très bien. Les collectionneurs ne laissent généralement pas échapper des livres qu’ils risquent de ne plus revoir avant longtemps. Les prix de ces pièces rares sont donc très soutenus. Il faut toutefois mettre un bémol. Même pour des livres très recherchés, il y a des limites que nous ne sommes pas prêts à dépasser. On ne peut pas faire n’importe quoi. Pour ce qui est des livres moins rares, les prix ont tendance à se tasser. En vente, on reste dans des prix solides mais plutôt à la baisse. Il faut parfois faire entendre raison aux vendeurs qui demandent des prix exceptionnels pour des livres qui ne le sont pas, en se fondant sur des résultats en vente qu’ils analysent mal. En revanche, le marchand doit suivre avec attention tous les livres, y compris ceux qui sont un peu délaissés, en se laissant guider par ses goûts personnels. Parmi les auteurs que l’on aurait tendance à mettre au placard, il y a des trésors, des exemplaires avec envoi qui auront toujours de la valeur. C’est même sur ces choix à la marge, voire complètement décalés, qu’une collection acquiert une personnalité et devient autre chose qu’un placement, l’affaire d’une personne de goût et de culture.

Quel livre vous a récemment touché ?
J’ai eu l’occasion d’acquérir récemment deux ouvrages qui m’ont beaucoup plu. Le premier est Les Paradis artificiels de Charles Baudelaire, en reliure de l’époque avec un envoi autographe du poète : « à mon ami Ardant Du Picq, Ch. Baudelaire ». J’ai également pu acheter tout récemment l’édition originale du célèbre poème-conversation Les Fenêtres, écrit par Apollinaire en hommage aux « fenêtres simultanées » du peintre Robert Delaunay. Cet album-catalogue d’œuvres de Robert Delaunay fut imprimé à l’occasion de son exposition à la galerie Der Sturm, à Berlin, en janvier 1913. Il est rare en lui-même, mais mon exemplaire est spécial : il comporte un très chaleureux envoi autographe calligraphié au pinceau et à l’aquarelle bleue, signée des initiales du peintre Robert Delaunay, sans nom de destinataire. Il fut peut-être adressé à Blaise Cendrars ou à Apollinaire lui-même. L’envoi garde une part de mystère : « À celui qui a inventé un rien, une langue propre, anti-hygiénique et vraiment sensuelle poétique, ce qui, vivant partout et pour tous, nous charge un peu de l’inquiétude moderne de l’épiderme, à toi. R. D. »

Quelle est votre actualité ?
Je suis mobilisé sur la vente chez Christie’s de la bibliothèque de Daniel Filipacchi dont je suis l’expert [lire p. 24]. C’est une collection prestigieuse, édifiée pendant plus de cinquante ans dans un esprit anticonformiste pour l’époque et avec une constance que j’admire. Faire le catalogue de cette vente a été pour moi un très grand plaisir : j’ai notamment pu voir tout à loisir les lettres autographes de Jacques Vaché à André Breton, le n° 1 de la Prose du Transsibérien, sur parchemin, le manuscrit de la pièce Le Trésor des jésuites écrite par Aragon et André Breton, Ubu roi de Jarry avec la seule peinture de l’auteur représentant Ubu ainsi que le bois original. Le catalogue d’autographes que je prépare pour la fin mai, cette fois-ci pour ma librairie, sera beaucoup plus modeste, avec tout de même quelques raretés. Enfin, je vais m’agrandir : je viens d’acquérir l’ancienne librairie de Maurice Bazy, tout près de la mienne. Il fut un remarquable libraire, très original jusqu’au bout, et je suis content de lui succéder. Mon ami, le relieur Jean de Gonet, qui est en train de fabriquer entièrement de sa main une petite série de bureaux, m’en a réservé un que je destine à cette future librairie.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°191 du 16 avril 2004, avec le titre suivant : Jean-Claude Vrain, libraire parisien

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