Entretien

Simon de Pury, Président de Phillips, de Pury & Cie

« Nous sommes meneurs sur le contemporain »

Le Journal des Arts

Le 30 avril 2004 - 1372 mots

Figure emblématique du marché de l’art, le Suisse Simon de Pury présente un parcours des plus exemplaires. Après avoir dirigé et développé la Collection Thyssen, il a gravi les échelons chez Sotheby’s avant de fonder sa propre société de courtage. Il est aujourd’hui à la tête de Phillips, de Pury & Company, rebaptisé ainsi depuis le départ de son associée et amie de longue date, Danielle Luxembourg. Spécialiste en art impressionniste et moderne, il se concentre à présent sur l’art contemporain et le design. Dans cet entretien, il revient sur sa carrière.

Tenez-vous votre intérêt pour l’art de votre entourage familial ?
Ma famille est très intéressée par l’art et j’ai passé mon enfance à visiter les musées avec mes parents, mais aucun des membres de cette famille ne travaillait dans ce milieu. J’ai grandi près de Bâle, ce qui a considérablement contribué à ma compréhension de l’art, car j’avais la possibilité de visiter le Kunstmuseum, l’un de mes musées préférés, et d’aller voir de façon régulière toutes les expositions organisées par Ernst Beyeler dans sa galerie. En termes de qualité, la barre a été placée très haut très tôt.

Vous avez suivi l’un des premiers cours de formation proposés par Sotheby’s. Qu’y avez-vous appris ?
Ce qui était formidable avec les cours de Derek Shrubb (fondateur du « Works of Art Course » en 1969), c’est qu’ils étaient fondés sur les aspects pratiques, sur la manière de regarder l’art. Les experts arrivaient le matin avec un vase, vous l’observiez – les repères et les marques étant recouverts de plâtre – et vous deviez trouver par vos propres moyens ce dont il s’agissait. Les moyens d’y parvenir n’avaient pas d’importance, vous pouviez aller dans une bibliothèque, un musée ou chez un marchand, et le soir même revenir pour parler avec un expert de vos trouvailles. Les cours étaient axés sur l’aspect visuel de l’art. C’était une approche non académique, une préparation idéale pour toute activité dans le marché de l’art.

Quelle a été votre mission auprès du baron Thyssen, entre 1979 et 1986 ?
J’étais chargé de la collection située dans la villa Favorita à Lugano, en Suisse, ce qui équivalait à gérer un musée car elle était ouverte au public. D’autre part, j’ai organisé quatre expositions d’échanges d’œuvres entre la collection Thyssen et des musées soviétiques, trois avec le Musée national de l’Ermitage et le Musée Pouchkine, et une avec la Galerie Tetriakov, ce bien avant la glasnost. Leonid Brejnev était toujours au pouvoir, aussi était-ce une véritable victoire pour ces musées d’envoyer dans la demeure d’un grand capitaliste des œuvres qui n’avaient jamais été vues hors de Russie. L’exposition de 1983 des trésors impressionnistes du Musée Pouchkine et du Musée de l’Ermitage reste à ce jour la plus visitée en Suisse, avec 400 000 visiteurs… Puis j’ai organisé de nombreuses expositions dont les « Trésors de la collection Forbes » à Lugano, une sur les Goya provenant de collections privées espagnoles, mais aussi les « Trésors de Budapest ». Je suis aussi à l’origine des expositions itinérantes de la collection Thyssen à travers le monde.

Vous êtes partis alors que le Musée Thyssen-Bonemisza, à Madrid, devenait réalité. Pourquoi ?
Sotheby’s m’avait fait une proposition très intéressante, j’ai hésité et puis finalement j’ai été tenté. C’était un nouveau défi mais, quand je suis parti, il n’y avait pas encore de projet d’un musée à Madrid.

Quels ont été vos différents rôles chez Sotheby’s ?
Au départ, j’étais directeur général puis vice-président et finalement président de Sotheby’s Europe, mais aussi président de Sotheby’s Suisse. Mon rôle principal consistait en la prospection de clientèle, en collaboration avec les divers experts, rendant visite aux collectionneurs, les conseillant, négociant les contrats de ventes, et j’étais également auctionneer. Ainsi je conduisais les grandes ventes d’art impressionniste et moderne de New York et Londres, puis les ventes à Genève, les house sales comme celles des Thurn et Taxis, c’est-à-dire un nombre important de ventes à travers le monde. Je travaillais surtout avec les départements d’art impressionniste, moderne et contemporain.

En 1997, vous vous êtes établi en tant que courtier. À cette époque, quels en étaient les avantages ?
J’avais eu la chance de naviguer dans le monde de l’art avec les yeux d’un collectionneur, d’un directeur de musée et d’un meneur d’enchères et j’étais intéressé par le regard du courtier. Ainsi, avec ma collègue Daniella Luxembourg, nous avons fondé une société de courtage privée spécialisée en art impressionniste, moderne et contemporain, et traitant ponctuellement de peinture ancienne et d’arts décoratifs.

Bénéficiez-vous d’investisseurs extérieurs ?
Non, mais nous avions des collectionneurs et des amis qui souhaitaient travailler avec nous, qui achetaient et vendaient par notre intermédiaire. Nous avons bénéficié d’un « filet de sécurité », et le savoir était rassurant. Heureusement, les affaires ont très bien marché dès le départ.

Vous avez été un pionnier pour la Russie. Très tôt, vous avez remarqué l’intérêt porté, par exemple, à l’avant-garde russe…
Je voyageais régulièrement en URSS depuis les expositions d’échange avec la collection Thyssen. Dès mon arrivée à Sotheby’s, j’ai pu explorer, avec les autorités culturelles, les possibilités d’organiser la première vente aux enchères de Moscou depuis la révolution. C’était le début de la glasnost et la vente de 1988 que j’ai conduite à Moscou a marqué un tournant. Jusque-là, il y avait une distinction entre les artistes officiels, qui étaient soutenus financièrement par l’État, et les artistes non officiels, dans une grande difficulté pour peindre, voyager et exposer leur travail. Ils travaillaient clandestinement et nous avons été forcés d’inclure un ou deux artistes officiels dans la vente. Mais ceux qui se sont formidablement bien vendus étaient les artistes non officiels. Cette vente a donc mis un terme à tout un système de ventes aux enchères réservées uniquement aux artistes officiels. Elle a eu un grand impact sur la manière dont l’art était traité en Union soviétique.

Aujourd’hui, vous vous occupez d’art contemporain, de photographie et de design à New York.
Oui, nous sommes plus particulièrement spécialisés dans l’art contemporain de ces vingt-cinq dernières années, nous avons fait notre place et nous sommes désormais meneurs sur ce secteur. Nous avons battu 13 records de prix de vente en novembre 2003, de Damien Hirst à Pierre et Gilles. Nous avons l’immense privilège de compter Philippe Garner dans notre équipe de spécialistes en photographie et nous avons innové dans notre manière de cataloguer les ventes. Nous tenons des ventes de bijoux à Genève et Londres et nous concluons également des ventes privées dans les domaines de l’art impressionniste et moderne.

Vous avez déclaré dans le passé que les ventes privées couvraient les dépenses du secteur des ventes aux enchères.
Dans les affaires privées, tout ce dont vous avez besoin est d’un téléphone portable et de la confiance de vos clients : c’est une activité idéale, il n’y a pas de frais généraux. Le marché des enchères est à l’exact opposé, l’organisation des ventes est très coûteuse : les catalogues, les expositions itinérantes, les infrastructures…

Pourquoi alors poursuivre vos activités dans le monde des enchères ?
Pour ma part, j’apprécie le marché des enchères et j’aime travailler en équipe. Je pense que les ventes privées ont besoin du marché public et vice versa. J’aime tout autant mener à bien une affaire privée que conduire une vente publique. C’est un avantage que d’offrir à vos clients tout un éventail.

La place des maîtres anciens est-elle en train de diminuer ?
Je pense qu’il y a un déplacement de l’intérêt pour ce marché, dû à la diminution de l’offre et à une évolution du goût et de la mode. Jusqu’en 1959, le département de peintures anciennes dominait les maisons de ventes puis, après la vente Goldschmidt chez Sotheby’s, le département d’art impressionniste et moderne est devenu le plus rentable. Récemment, à deux ou trois reprises, les totaux des ventes d’art contemporain de Sotheby’s, Christie’s et Phillips ont dépassé ceux des ventes d’art impressionniste et moderne. Lorsque vous regardez les nouveaux collectionneurs, la plupart des gens qui commencent à collectionneur sérieusement ont la trentaine, voire la quarantaine. Ils sont surtout intéressés par l’art contemporain et d’après guerre. Les personnes qui ont grandi avec l’informatique  sont plus attirées par Andy Warhol que par Renoir. Je pense que cela augure d’un changement fondamental du goût à long terme.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°192 du 30 avril 2004, avec le titre suivant : Simon de Pury, Président de Phillips, de Pury & Cie

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