Salon

Milan : quand le design bobo oublie la bohême

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 30 avril 2004 - 1018 mots

Le 43e Salon du meuble a été marqué par un certain embourgeoisement dans la création. Les designers commencent à explorer de nouveaux territoires, en particulier celui de la nourriture.

 MILAN - Changement de ton radical pour ce 43e Salon du meuble de Milan, qui s’est déroulé du 14 au 19 avril. Après une édition 2003 tiraillée entre un défaitisme cruel et un optimisme à tout rompre, le Salon 2004 a remis les pendules à l’heure, exhibant des créations plus sages, mais plus construites, qui annoncent une tendance certaine à l’embourgeoisement. Pour autant, sous le vernis policé, sourdent, heureusement, moult pistes irrévérencieuses : celles que concocte une nouvelle génération qui ne jure que par les nouvelles technologies.
Le Salon 2004 a donc mis sa palette de couleurs en berne. C’est notamment le cas chez Kartell, qui a remisé son arc-en-ciel d’il y a un an pour ressortir une vision en noir et blanc du plus sérieux effet. Idem avec ses produits : la lampe Bourgie, de Ferruccio Laviani, évoque une silhouette ancienne avec abat-jour, revisitée en polycarbonate transparent. Une méthode qui n’est pas sans rappeler un certain Philippe Starck. Classique aussi la scénographie du stand, truffé de décors traditionnels : une cheminée en marbre, une porte à deux battants, une fenêtre à petits bois… Comme si, en ces périodes mouvementées, on faisait si peu confiance au mobilier qu’il fallait d’urgence se raccrocher à l’immobilier. Pas étonnant alors que nombre d’entreprises aient fait appel à des maîtres d’œuvre réputés, tels David Chipperfield (le divan Air Frame pour IXC), Renzo Piano (la chaise Piano chez Riva 1920), Toyo Ito (la bibliothèque Sendai chez Horm), Dominique Perrault (la table Méta-Métal chez Sawaya & Moroni) ou Frank Gehry (une collection de mobilier pour Heller et, chez Emeco, Superlight, une chaise toute légère en aluminium). S’agit-il véritablement d’une sorte de retour à l’ordre ? Si oui, peut-être faudra-t-il dorénavant obéir « Au doigt et à la baguette », comme le suggère le thème de cette exposition consacrée aux baguettes de chef d’orchestre et organisée par l’École cantonale d’art de Lausanne. Quarante designers ont ainsi battu en brèche la mesure, tel Richard Hutten, qui propose un gant blanc dont l’index s’est allongé démesurément à la taille justement d’une baguette. Quoi qu’il en soit, la valeur refuge de ce style néobourgeois reste évidemment l’or. C’est la couleur phare de l’année 2004, selon la styliste Li Edelkoort, qui l’a sélectionnée pour la firme hollandaise Moooi. Le designer Ingo Maurer l’a, lui aussi, choisie pour habiller ce textile souple avec lequel il a fabriqué ces nouvelles lampes, malheureusement peu convaincantes. On assiste enfin à un retour en force de l’ornement, du plus lyrique au plus déjanté, comme ces myriades d’insectes imaginées par le duo batave Studio Job, motif utilisé par les couturiers Viktor & Rolf dans leur défilé parisien, en mars, et qui a été reproduit sur les carreaux de céramique de la Koninklijke Tichelaar Makkum – Manufacture royale de porcelaine des Pays-Bas.
Aujourd’hui, l’un des nouveaux terrains d’exploration des designers n’est autre que la nourriture, ainsi que les lieux où elle se prépare. Certains ont dessiné du mobilier, tels Massimo Iosa Ghini, qui, au salon Eurocucina, a montré sa Cucina Fluida, aux lignes élancées, et Sir Norman Foster, lequel, à deux pas du Duomo, dans la boutique Dada, a dévoilé Place Kitchen, un prototype de cuisine on ne peut plus sobre. D’autres ont conçu des restaurants, comme les dix écoles internationales réunies au sein de l’exposition « Dining Design ». Les étudiants de la Staatliche Hochschule für Gestaltung de Karlsruhe ont, eux, imaginé « Quicnic », un fast-food au ras du sol, sur le mode du pique-nique. D’autres, enfin, se sont penchés directement sur les aliments, en particulier les desserts. Ainsi cette collection de biscuits, lancée par l’Université libre de Bolzano, dont celui baptisé Boule de neige, de Sven-Anwar Bibi, ou encore cette série de gâteaux imaginés par 23 designers pour le magazine Casa da Abitare, dont le Slice Cake d’Ineke Hans, en forme de couronne royale. Exposés pour l’occasion dans le fameux salon de thé Sant Ambrœus, corso Matteotti, ces derniers pourraient à l’avenir intégrer la carte.

Transferts étonnants
Au rayon bonnes surprises, on peut citer : le fauteuil Sponge de Peter Traag (Edra), plissé comme un shar peï, la ligne « Flo » de Patricia Urquiola (Driade), qui remet l’osier au goût du jour, la collection de chaises longues pour l’extérieur de Ronan et Erwan Bouroullec, « Stripped » (Magis), aux bras fins comme des pattes de sauterelles, enfin la chaise Carbon de Bertjan Pot et Marcel Wanders, une assise ultralégère, en résine époxy et carbone, tout simplement remarquable. La société Moroso tire, une fois encore, admirablement son épingle du jeu avec, entre autres, deux beaux produits : la chaise sinueuse Three Skin de Ron Arad, en bois laqué, et Dummy, une housse en polyuréthane expansé, imaginée par Konstantin Grcic pour métamorphoser n’importe quelle chaise en fauteuil confortable. Enfin, c’est au Salon de Milan que l’on assiste par exemple à des « transferts » étonnants, notamment de l’automobile vers le meuble et vice versa. Cette année, le designer automobile Giugiaro a dessiné une cuisine. Inversement, la société Alessi, spécialiste des arts de la table, a entièrement relooké une Fiat Panda.
En Italie, les grands sorciers du design ont toujours leur mot à dire. Ainsi, à la galerie Calvi-Volpi, Ettore Sottsass, sur le thème du repos, a imaginé une alcôve amusante et sensible : « Architettura romantica ». Pas très loin de là, à la galerie Post Design, Andrea Branzi, lui, a dévoilé un travail qui reste comme le clou de ce Salon 2004 : « Blister », une collection de meubles et objets construits à partir de coques en plastique translucide maintenues par des aimants. Suffocant et poétique à la fois. Enfin, on ne peut passer sous silence la belle exposition « Dreams » (à La Triennale di Milano, jusqu’au 30 mai), qui revient sur « les rêves des Italiens à travers cinquante ans de publicité télévisuelle ». La scénographie a été confiée à plusieurs designers, dont Denis Santachiara, Mario Bellini ou Italo Lupi. Un bonheur.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°192 du 30 avril 2004, avec le titre suivant : Milan : quand le design bobo oublie la bohême

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