Ici Londres

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 18 octobre 2007 - 838 mots

En cinq éditions, la foire Frieze Art Fair, à Londres, s’est imposée dans le calendrier des collectionneurs, en boostant le marché londonien. Mais à trop miser sur la branchitude, on peut y perdre ses ailes.

A maints égards, la foire Frieze Art Fair, qui fête ses cinq ans, surfe sur le Cool Britannia, le grand coup de marketing de l’ancien Premier ministre brintannique Tony Blair. Le sociologue Richard Howells expliquait cet été au quotidien Libération que cette expression visait à « changer l’image de la Grande-Bretagne en la promouvant comme une sorte de “marque” jeune, moderne et branchée, par opposition au stéréotype d’une société héritière de nombreuses années de pouvoir conservateur ». Inconsciemment, Frieze s’est calquée sur ce projet. Avec en sus l’idée de prouver l’existence d’un marché londonien. Malgré l’urticaire et la nausée que suscitent les dérives de cet événement, il faut lui reconnaître cette réussite. Les auctioneers l’ont bien compris en calant leurs ventes sur les dates du salon. En juin 2003, avant le lancement de Frieze, une vente du soir d’art contemporain générait 9,3 millions de livres sterling (13,2 millions d’euros) chez Christie’s. La barre s’est placée à 74,07 millions de livres en juin dernier ! Le même mois, la maison de ventes Phillips de Pury a dépassé ses performances new-yorkaises avec un chiffre d’affaires record de 23,32 millions de livres sterling.
Qui dit marché londonien n’implique pas acheteurs britanniques, mais un vivier croissant de Français, Indiens, Libanais ou Russes établis pour la plupart dans le quadrilatère très select de Belgravia. « Londres a attiré certains des hommes les plus riches du monde par ses avantages fiscaux, le succès de son économie, la facilité de voyager à partir de et vers cette ville, indique Rodman Primack, directeur de Phillips de Pury à Londres. Ces deux dernières années, tout a été réuni pour faire de Londres le centre du monde. » Avant-poste des Américains en Europe, Londres est aussi la plate-forme à partir de laquelle nombre de galeries new-yorkaises entendent explorer un marché européen d’autant plus précieux pour eux que l’euro est fort. Pour le contingent français, la foire permet de toucher un public qui ne transite guère par nos côtes. « On touche le marché anglo-saxon et même moyen-oriental, indique Niklas Svennung, codirecteur de la galerie Chantal Crousel (Paris). On a ainsi vendu des œuvres de Jean-Luc Moulène à une collection princière du Koweït. C’est le type de rencontre qui ne se ferait pas par hasard à Paris. Frieze est aussi intéressante que la foire de Bâle en termes de ventes, mais le public est en moyenne plus jeune. »

Impertinence artistique
Reste que derrière bouliers et calculettes, la foire a raté un autre pari : celui de la pertinence artistique. Un échec d’autant plus regrettable qu’elle a été lancée par une revue d’art, qui, elle, garde de sa crédibilité. Foire aux grandes oreilles, Frieze est le reflet fidèle du marché actuel, où il est plus question de prêt à consommer que de long terme. Plutôt que de confesser leur pragmatisme, les organisateurs jouent les vierges effarouchées, pointant les commandes annuelles d’œuvres, notamment cette année à Richard Prince. D’après Matthew Slotover, codirecteur de la foire, la revue pourrait même brocarder le salon. « Ce qui nous préoccupe, c’est l’art, assure ce dernier. Nous ne cherchons pas à être cool ou hype. Nous ne choisissons pas des people et des célébrités pour notre vernissage, nous n’avons pas d’attaché de presse qui les invite. S’ils sont là, c’est parce qu’ils collectionnent. Évidemment, le nombre de visiteurs a doublé ou triplé et tous ceux qui viennent peuvent ne pas aimer. Notre vrai défi est de permettre aux galeries d’art conceptuel de respirer dans la foire. » Difficile pourtant pour ces dernières d’exister à côté des one-line jokes [blagues à deux balles] ou des images choc, citons pêle-mêle parmi les œuvres des précédentes éditions, les fesses d’Alison Gingeras photographiées par Piotr Uklanski, le vomi de Yoshua Okon tournoyant en boucle, l’accouchement crûment saisi par l’objectif de Corey Mc Corkle… Certains font de la résistance, telle Chantal Crousel qui amène de grands référents, comme l’an dernier Marcel Broodthaers ou cette année les Oxidation Paintings d’Andy Warhol. Emmanuel Perrotin (Paris-Miami) évite d’être noyé grâce aux one-men-shows, avec cette année Bhakti Baxter. « Frieze joue plus sur l’idée de nouveauté que de branché, assure de son côté Olivier Antoine (galerie Art : Concept, Paris), lequel prévoit Michel Blazy, Lothar Hempel et Ulla von Brandenburg. Quand on regarde leurs catalogues, on se rend compte qu’ils ont annoncé pas mal d’artistes qui sont devenus depuis des stars. » Peut-être par une certaine lassitude pour des artistes sortis du chapeau, les visiteurs briguent volontiers des œuvres de créateurs plus établis. La galerie Yvon Lambert (Paris-New York) amène ainsi une œuvre tardive de Tom Wesselmann, une pièce qui voilà cinq ans aurait semblé incongrue sur la foire.

FRIEZE ART FAIR

11-14 octobre, Regent’s park, Londres, www.friezeartfair.com, les 11, 12, 13 11h-19h, le 14 11h-18h. - Directeurs : Amanda Sharp et Matthew Slotover - Nombre d’exposants : 151 - Tarif des stands : 225 livres sterling (323 euros) - Nombre de visiteurs en 2006 : 63 000

The Fair gallery Reposant sur un jeu de mots, fair signifiant aussi bien foire qu’équitable, la Fair gallery intronisée sur Frieze est née d’un brainstorming entre les galeries gb agency (Paris) et Raster (Varsovie). « Notre réflexion, c’est que les foires ont pris le pouvoir, c’est le passage obligé pour être visible, mais le format n’est pas idéal pour montrer de l’art, explique Solène Guillier, codirectrice de gb agency. Comment renverser cette donne en donnant du sens et en inventant un nouveau format ? » L’idée est de regrouper sous cette étiquette anonyme des galeries choisies par affinités électives autour d’une exposition dont le commissariat est confié cette fois à Aurélie Voltz. Celle-ci développe l’idée de la domesticité des œuvres d’art dans un univers privé. Le choix s’est effectué librement dans chaque galerie, entre des sculptures anciennes de Deimantas Narkevicius ou une performance de Roman Ondak dans laquelle une mère apprend à son enfant à marcher. Signe que l’art doit se chercher dans la vie et non sur les stands ! Évidemment, ce regroupement permet aussi une mutualisation des dépenses pour des structures à l’économie fragile. Le quatuor formé par gb agency, Raster, Jan Mot (Bruxelles) et Hollybush Gardens (Londres) espère participer l’an prochain à MACO, la foire de Mexico, et Art Basel Miami Beach. « L’idée est d’apparaître sur des foires dont les enjeux commerciaux sont importants et la scène à découvrir », précise Solène Guillier. Mais, l’esprit communautaire s’arrête toutefois sur le perron de la foire de Bâle. « Bâle, c’est la meilleure foire du monde et c’est très important pour moi d’y être avec mon identité personnelle », indique Jan Mot. Yvon Lambert Temporary Après avoir testé l’expérience en décembre au moment d’Art Basel Miami Beach, la galerie Yvon Lambert (Paris, New York) rejoue à Londres la carte d’un espace temporaire cette fois au moment de Frieze. Dans les 500 m2 d’un ancien studio de cinéma à Covent Garden, elle compte montrer neuf grandes installations d’artistes femmes, de Jenny Holzer à Nan Goldin en passant par Candice Breitz et Koo Jeong-A. 8-13 octobre, 10 Mercer Street, 10h-19h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°266 du 5 octobre 2007, avec le titre suivant : Ici Londres

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