Paroles d’artiste

Pierre Malphettes

« Ordonner un point de vue »

Par Anaïd Demir · Le Journal des Arts

Le 14 mai 2004 - 701 mots

Des sacs en plastique qui dansent, des tapis volants qui s’envolent, de la vaisselle qui se met à voyager... Pierre Malphettes injecte liberté, rêve et fantaisie à notre environnement urbain. À L’Espace Paul-Ricard, à Paris, alors que nous l’interrogeons, sa « Little Odyssey » suit son cours.

 Comment se met en place votre « Little Odyssey » à l’Espace Paul-Ricard ?
C’est un petit voyage, qui ne va pas très loin, une odyssée au coin de la rue. Quatre œuvres sont exposées, sans suite logique ni ordre. Elles sont toutes un peu ambiguës. Dans la première salle, on trouve La Mouette et le container : une mouette en néon blanc posée sur un vieux container rouge. Le container a été découpé en morceaux pour qu’il soit montable-démontable et transportable par deux personnes. Dans la deuxième salle, Le Jardin est composé de trois éléments : une culture d’avocatiers sous une lampe à sodium, une trajectoire de mouche en néon vert et une trajectoire de fourmi en néon rouge. Une œuvre sans titre que j’appelle « la Porte », ou « le Portail », est surmontée d’une enseigne muette : un caisson lumineux fuchsia. Enfin, au fond, se trouve un écran construit pour projeter une vidéo : Le Festin, avec une bande sonore assez présente. Les salles sont plongées dans le noir car les deux sculptures et l’installation sont lumineuses et colorées.

La notion de voyage, de circulation est généralement très présente dans votre travail. Qu’est-ce qui vous intéresse dans cette idée ?
C’est surtout une façon de mettre en jeu l’espace et le rapport qu’on entretient avec celui-ci. J’ai réalisé plusieurs installations dans lesquelles le visiteur était invité à circuler. Elles mettaient à mal nos points de repère et la conscience qu’on pouvait avoir des éléments d’architecture, pris comme limites de l’espace. Je voulais repousser ces limites, ou tout du moins attirer l’attention sur elles pour signifier que l’espace est instable et plus vaste. Mais dans cette exposition, ce sont plutôt les objets qui sont déplacés hors de leur espace d’origine. Ainsi, le container, un des rares objets à être identique partout dans le monde et dont la nature même est de voyager, évoque l’espace portuaire. La Porte sépare deux espaces qui finalement s’imbriquent l’un dans l’autre. Le Jardin constitue une sorte d’apprentissage de la nature, mais une nature traitée de manière très urbaine.

Le vent, l’eau, la lumière… ces éléments aussi naturels qu’insaisissables sont souvent constitutifs de votre œuvre. Pourquoi ?
J’apprécie leur apparente simplicité. Mais, bien qu’insaisissables, ils répondent à des règles strictes : l’eau s’écoule et répond à la gravité ; l’air monte ou descend selon sa température. C’est cette double réponse qui m’intéresse. Ils sont à la fois intangibles et extrêmement cadrés, ils n’offrent pas tellement de choix. Ils présentent à la fois une grande liberté et une contrainte extrême, l’une ne va pas sans l’autre et, pour gagner l’une, il faut comprendre l’autre.

Quel rôle jouent les objets du quotidien dans votre travail ? Quelle poésie en tirez-vous ?
Les objets sont pris pour ce qu’ils sont. Je leur fais opérer des décalages ou des déplacements. Je veux faire voler ou rouler un tapis, mais c’est impossible, ça reste un tapis. Dans Le Festin, j’ai réuni des amis qui sont à la fois acteurs et réalisateurs du film et du journal. Ce qui nous rassemble, ce sont des objets fédérateurs – un vaisselier et de la vaisselle –, mais notre festin dérape et on finit par les jeter du haut d’un bâtiment. Dans une autre installation, Dédicace aux oiseaux, je fais voler des sacs en plastique derrière une vitrine de magasin. Les sacs qui volent dans les villes s’émancipent de la chaîne de consommation à laquelle ils appartiennent, ils gagnent en liberté. Je ne veux pas tirer une poésie particulière des objets, je cherche celle qu’ils contiennent. En fait, je veux forcer l’attention et ordonner un point de vue. J’observe des événements ou des objets, étant ce qu’ils sont ; ils évoquent autre chose et je veux mettre en valeur cette autre chose.

« Little Odyssey »

Jusqu’au 10 juin, Espace Paul-Ricard, Galerie Royale 2, 9, rue Royale, 75008 Paris, tél. 01 53 30 88 00, du lundi au vendredi 10h-19h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°193 du 14 mai 2004, avec le titre suivant : Pierre Malphettes

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