Dialogues

L’art habité

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 14 mai 2004 - 591 mots

Le FRAC Nord - Pas-de-Calais emménage à Gènes.

 Gênes - Profitant d’une actualité commune – en 2004, Lille et Gênes sont toutes deux Capitales européennes de la culture –, le FRAC Nord - Pas-de-Calais, sis à Dunkerque, a déménagé une bonne partie de sa collection au Centre d’art contemporain de la villa Croce, à Gênes, pour une exposition baptisée « Aménager la maison, habiter le musée » (1). À l’intérieur de cette haute bâtisse classique, plantée au cœur d’un jardin qui domine le golfe, ont été disposées dans une vingtaine de salles, reconstituant de la cave au grenier les typologies d’une maison traditionnelle, quelque 80 œuvres, réalisées pour les trois quarts par des artistes, le reste par des designers. Le but est de créer des « dialogues » entre les œuvres d’art et les objets design. Voire de prendre langue avec le lieu lui-même, cette villa de la fin du XIXe siècle.
Par endroits, la conversation s’amorce visiblement. Ainsi, au premier étage, la salle intitulée « Le Rêve kitsch » fonctionne impeccablement. Sous des voûtes peintes aux motifs fleuris, le Bedroom Ensemble de Sylvie Fleury, chambre à coucher en fausse fourrure orange, conçue en hommage à Claes Oldenburg, « devise » gaiement avec une peinture murale de Jessica Diamond, Tributes to Kusama : Me Constellation, myriade de points noir et blanc d’où émerge le mot Me (« moi »). Dans un angle gît, allumé, un assemblage de néons de Dan Flavin, Sans titre/À Harold Joachim. Parfois, le conciliabule n’a pas lieu. C’est le cas, notamment, dans « La Chambre des enfants » où le lit gonflable jaune fluo Pisolo du designer Denis Santachiara n’a vraiment pas grand-chose à « dire » aux encres de Chine de Raymond Pettibon.
Au fil de la visite, les dialogues se révèlent moins réponses que questionnements. Un meuble peut-il être une œuvre d’art ? Et inversement, une œuvre d’art qui singe l’utilitaire est-elle encore une œuvre d’art ? Unicité et multiplicité brouillent les frontières entre art et design. D’où des démarches d’artistes et de designers qui se télescopent à l’envi. Quand l’artiste Hans-Peter Feldmann crée le Feldmann Verlag’s Shop, sorte de service de table, l’œuvre est reproductible à l’infini de manière à ce que sa valeur, en regard du marché de l’art, n’augmente jamais. En revanche, lorsque le designer François Bauchet conçoit Sellette à P. F., un pupitre en bois laqué et bronze, cette pièce unique semble avoir davantage valeur d’œuvre que de mobilier de bureau. Idem pour le tabouret en hêtre Scolaro du designer Konstantin Grcic : meuble ou sculpture ? D’autres télescopages, enfin, sont plus évidents. Le lampadaire Toio des frères Achille et Pier Castiglioni, un phare de voiture, un transformateur et un fil électrique, le tout monté sur une canne à pêche, peut allégrement être considéré comme un ready-made.
La villa Croce montre une idée de l’habiter assurément multiple. Quelque part entre la rigoureuse Cabane éclatée n° 7 de Buren, en tissu rayé blanc et vert d’eau, et le Bordel sacré de Charlemagne Palestine, capharnaüm de peluches hideuses, armées de pistolets en plastique.

(1) Cette présentation génoise préfigure une prochaine exposition considérablement augmentée et intitulée « Just What Is It ? », qui aura lieu au Tri Postal, à Lille, dans le cadre de Lille 2004, capitale européenne de la culture, du 5 septembre au 28 novembre. Rens. : 03 28 65 84 20.

AMÉNAGER LA MAISON, HABITER LE MUSÉE

Jusqu’au 6 juin, Museo d’Arte Contemporanea di Villa Croce, via Jacopo Ruffini, 3, Gênes, tél. 39 010 58 57 72, www.museovillacroce.it, tlj sauf lundi, 10h-19h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°193 du 14 mai 2004, avec le titre suivant : L’art habité

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