Art ancien

Peinture italienne

Insaisissable Giorgione

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 14 mai 2004 - 725 mots

Grâce à des prêts exceptionnels, le Kunsthistorisches Museum de Vienne évoque le génie novateur du maître vénitien.

VIENNE - Considéré comme un des pères de la peinture vénitienne de la Renaissance, Giorgione (1477/1478-1510) a créé un œuvre poétique et énigmatique dans un jeu contrasté d’ombre et de lumière. Dès le début du XVIe siècle, il s’institue en véritable mythe. Les rares œuvres conservées de l’artiste étaient jalousement gardées dans les collections privées de la noblesse vénitienne. Vasari le décrit dans ses Vies (1550) comme un grand poète, épris de musique, qui fréquentait les milieux cultivés et « ne fit preuve que d’une âme délicate et de bonnes mœurs pendant toute sa vie… jouissant continuellement des choses de l’amour ». Aujourd’hui, s’il est admis que Giorgione est né à Castelfranco – d’où est originaire sa première œuvre (le retable de la cathédrale de la ville) – et qu’il a probablement été le disciple de Bellini, il demeure impossible d’élaborer un catalogue exhaustif de ses œuvres. En outre, les sujets mystérieux de ses tableaux continuent d’enflammer les esprits.
À l’occasion de la restauration du retable de Castelfranco, la Galleria dell’Academia à Venise a organisé à la fin de l’année 2003 une rétrospective « Giorgione », bénéficiant à cet effet du prêt des Trois philosophes et de Laura, appartenant tous deux au Kunsthistorisches de Vienne. Pour cette nouvelle exposition sur le maître italien, l’institution vénitienne a en retour mis  à la disposition de son homologue autrichien la célèbre Tempête (vers 1505-1506), qui pour la première fois quitte l’Italie, ainsi que La Vieille. « Il s’agit de prêts exceptionnels. Pas seulement à cause de la grande attention médiatique dont jouit La Tempête, mais surtout parce que c’est l’occasion de présenter nos œuvres à la lumière des avancées de la recherche et des différents projets d’expositions concernant Giorgione », explique Sylvia Ferino-Pagden, commissaire de l’exposition et conservatrice au département de Peinture italienne du musée viennois. « L’ensemble de ces nouvelles réflexions constitue la base d’un projet initié en 2000 avec la National Gallery of Art de Washington et destiné à préparer l’exposition “Bellini, Giorgione, Titien. La Renaissance de la peinture à Venise 1500-1530” qui ouvrira à l’automne 2006 ».

Interprétations multiples
Au total, neuf œuvres essentielles du maître (auquel seule une vingtaine de compositions sont attribuées) ont été réunies. Manquent à l’appel : La Vénus endormie (vers 1510), appartenant à la Gemäldegalerie de Dresde, trop fragile pour voyager, le retable de Castelfranco et Les Trois Âges de l’homme (vers 1500-1505), lequel est conservé au palais Pitti à Florence. En revanche, le musée a obtenu La Sainte Famille (vers 1498) de la National Gallery of Art de Washington et le Portrait de jeune homme (vers 1498-1500) de la Gemäldegalerie de Berlin, qu’il présente aux côtés de ses propres collections. Parmi elles figurent le Portrait de jeune fille dit « de Laura » (1506), le délicat Jeune homme à la flèche (vers 1506) dont la beauté androgyne rappelle les figures de Léonard de Vinci ou encore Les Trois Philosophes, tableau qui a donné lieu à toutes les interprétations : qui sont ces personnages ? les symboles des trois écoles de philosophie, les allégories de l’Antiquité, du Moyen Âge et de l’époque moderne ? S’agit-il des trois religions monothéistes, des rois mages (souvent représentés sous les traits de savants à la Renaissance) ou encore des trois âges de la vie ? Giorgione a-t-il simplement voulu magnifier la connaissance et l’étude de la nature qui permettent à l’homme d’affronter le mystère du monde ?
Par une scénographie habile, les œuvres sont confrontées à celles d’artistes actifs à Venise à la même époque, tels Giovanni Bellini, Titien ou Dürer. Au dos des cimaises sont présentées par ailleurs les radiographies des tableaux de Giorgione qui témoignent de ses repentirs ou de détériorations passées. Les examens de La Tempête révèlent ainsi qu’avant de peindre le jeune homme debout au premier plan Giorgione avait figuré une femme nue assise au bord de la rivière.
Le catalogue paru à l’occasion de l’exposition réunit une riche bibliographie ainsi que les essais d’universitaires et d’experts, une somme d’informations pour tenter de cerner cet artiste décidément insaisissable...

GIORGIONE. MYTHE ET ÉNIGME

Jusqu’au 11 juillet, Kunsthistorisches Museum, Maria Theresien-Platz, Vienne, tél. 43 1 525 24 352, www.khm.at, tlj sauf lundi 10h-18h et 21h le jeudi. Catalogue (anglais/allemand), éditions Skira, 310 p., 35 euros.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°193 du 14 mai 2004, avec le titre suivant : Insaisissable Giorgione

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