Assurance

Mieux vaut prévenir que guérir

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 14 mai 2004 - 1492 mots

Les organisateurs d’expositions temporaires font systématiquement appel aux compagnies d’assurances pour garantir les œuvres présentées. Enquête auprès d’assureurs spécialisés.

Incendie, dégâts des eaux, vols, actes de vandalisme, entrepôts ravagés, maladresses lors du décrochage, accidents de transport… les œuvres d’art sont confrontées à quantité de risques lorsqu’elles voyagent dans le cadre d’expositions temporaires. Aucun d’entre eux ne pouvant prendre en charge les coûts financiers de tels incidents, les musées les assurent auprès de maisons spécialisées. Comment travaillent les assureurs ? Combien coûte une police d’assurance ? Que couvre-t-elle exactement ? Quels sont les dommages qui affectent réellemnt les œuvres prêtées ? Le Journal des Arts a rencontré ces professionnels sans qui les expositions internationales, de Paris à New York en passant par Londres, Madrid ou Moscou, ne pourraient avoir lieu.
« Nous avons un lien étroit avec les conservateurs et les régisseurs, qui entretiennent eux-mêmes un rapport très sensible aux œuvres, explique Jacques Lemoine, responsable du pôle Risques spéciaux et Fine Arts chez Gras Savoye. Assurer des objets d’art revêt un caractère particulier. Nous assurons quelque chose qui touche à l’intime. » Lucien-François Bernard, président de LDA Assurances, souligne lui aussi ces rapports particuliers qui unissent assureurs et assurés : « Les prêteurs ont besoin d’avoir en face d’eux des professionnels de l’assurance qui parlent leur langage, il est donc souhaitable que ceux-ci soient eux-mêmes issus du milieu de l’art et très réactifs pour satisfaire les attentes des prêteurs. » Concrètement, pour assurer les œuvres d’une exposition temporaire, le musée rédige d’abord un « cahier des charges » dans lequel il précise l’objet du contrat, la nature et l’étendue de la garantie, les valeurs des biens à assurer. Puis intervient la mise en concurrence : le musée lance un appel d’offres – depuis 1992, les contrats d’assurance sont soumis au code des marchés publics – et retient la plus intéressante. Les institutions travaillent souvent avec le même assureur, qui connaît bien les lieux et précautions à prendre. La Réunion des musées nationaux (RMN) collabore ainsi régulièrement avec le pôle Axa Art et la société de courtage Gras Savoye. Sont assurées, les œuvres d’art que la RMN prête mais aussi celles qu’elle fait venir de l’étranger (sauf si le prêteur exige une couverture par sa propre police d’assurance). « Notre rôle premier en tant qu’assureur est un travail de prévention. Un chèque ne remplacera jamais une œuvre détériorée ou disparue », souligne Terence Burton, responsable Souscription objets d’art et de collection chez Generali Assurances en France. Les assureurs jouent donc aussi un rôle de conseiller auprès des musées. Des conseils qui peuvent intervenir jusque dans la scénographie d’une exposition : « Par exemple, on peut conseiller à l’organisateur de déplacer un objet de grande valeur qui n’est pas constamment dans l’axe de vue du gardien, éviter de placer les objets trop fragiles à portée de main, ceux de petites tailles (faciles à dérober) près des axes d’entrée ou de sortie, précise Terence Burton. Les musées sont souvent dans l’attente de tels conseils. Ils n’ont pas toujours en tête tous ces petits détails quand ils montent un projet qui accapare déjà beaucoup de temps et d’énergie. »

Des taux aujourd’hui stabilisés
La prime d’assurance dépend du nombre d’œuvres et de leurs cotes sur le marché. La valeur de l’œuvre est déterminée par l’emprunteur et le prêteur, puis le courtier et l’assureur émettent un certificat sur la base de cette évaluation. Actuellement, le taux de la prime d’assurance oscille entre 0,80 et 1/1 000 du montant de la valeur totale des objets assurés. La prime d’assurance d’une exposition comme « Matisse-Picasso », organisée en 2002 au Grand Palais et dont l’ensemble des œuvres a été évalué à 1,924 milliard d’euros, a ainsi coûté près de 1 million d’euros. Toujours au Grand Palais : « Gauguin - Tahiti » (2003) a été assurée pour 680 000 euros (l’ensemble était estimé à 1,18 milliard d’euros) et « Vuillard » (2003), 147 000 euros. « De 1998 à 2001, les taux des primes d’assurance avaient chuté aux alentours de 0,28 et 0,30/1 000, souligne Jean Naudin, responsable du mouvement des œuvres au département des expositions de la Réunion des musées nationaux. Après le 11 septembre 2001, les taux ont immédiatement augmenté et sont passés progressivement à 1, 1,25, voire 1,50/1 000. Actuellement, grâce notamment à la création du GAREAT (1) qui permet à la France d’avoir les capacités nécessaires pour couvrir les risques liés au terrorisme, les taux se sont stabilisés autour de 0,80 à 1/1 000. L’intervention de la garantie de l’État français pour certaines expositions temporaires permet également de faire baisser les taux de manière significative. » Octroyée aux expositions nationales à caractère « exceptionnel », dont la valeur doit dépasser 46 millions d’euros, la garantie d’État permet de faire une économie de 50 % sur la prime d’assurance.
Pour assurer des expositions dont le coût s’élève à des dizaines de millions d’euros, les assureurs font régulièrement appel à des réassureurs sur le marché mondial. Si les coûts varient considérablement d’une petite à une grande exposition, la procédure est globalement la même et couvre des risques identiques.

Garantir « de clou à clou »
Pour les manifestations temporaires, les musées souscrivent à l’assurance « tout risque exposition », qui couvre les dommages matériels liés à un accident. La police d’assurance est une garantie dite « de clou à clou », c’est-à-dire du décrochage au raccrochage, en passant par l’emballage, le transport, la livraison, le déballage… Pour établir la police d’assurance, chacune des œuvres fait l’objet d’un certificat le plus détaillé possible (nature, fragilité, conditions de transports) qui la suivra lors de tous ses déplacements. « Les fiches de prêt doivent donc être extrêmement précises, l’état de chaque œuvre doit y avoir été scrupuleusement décrit au préalable pour éviter le moindre litige entre assuré et assureur », indique Lucien-François Bernard. La police d’assurance peut étendre ses garanties avec des clauses spéciales comme le vol sans effraction, les risques de grève ou de sabotage, la casse d’objets particulièrement fragiles, la dépréciation d’une œuvre après sinistre. « Nous n’assurons pas tout. Si, par exemple, à la suite d’une exposition, une pièce a été endommagée du fait d’une mauvaise hygrométrie, l’assureur ne couvre pas le sinistre », observe Terence Burton. Outre les dégâts dus à un manque de précautions, ne sont pas couverts par la garantie : l’usure du temps, la guerre civile, la guerre étrangère constituée ainsi que les confiscations, l’expropriation, la nationalisation et la réquisition… Aucun élément ne semble donc laissé au hasard. Mais, au final, quels sont les dommages qui surviennent réellement ? « Pour les grosses expositions, il y a très peu de problèmes. Dans des lieux moins préparés, c’est là que les petits accidents arrivent », note Alain Gilbert, souscripteur chez Axa Art. Rodées, les grandes institutions ne peuvent cependant se permettre de prendre le moindre risque quand elles font venir un Rembrandt ou un Picasso.« Les dommages accidentels sont rares et souvent minimes en coût, ils concernent surtout les encadrements et quelques petits soulèvements de peinture, facilement restaurables », constate, pour sa part, Lucien-François Bernard. « 80 % des sinistres naissent lors des opérations qui ont lieu à la fin d’une exposition ; les précautions sont moindres, on pense déjà à l’exposition qui va suivre », faisait judicieusement remarquer l’expert François Privat dans les Actes de la deuxième conférence européenne des régisseurs d’œuvres d’art (2).

Incidents rares
En cas d’accident, l’assurance envoie un expert sur place qui détermine la dépréciation. Ensuite, interviennent le remboursement ou la restauration, pris en charge par l’assureur. Les incidents sont donc rares et, situation paradoxale, le coût d’une exposition atteint des sommes considérables à cause de l’assurance tandis que cette dernière a peu de probabilités d’être utilisée ! « L’assurance dépend des événements géopolitiques mondiaux et de l’évolution globale du marché. Il s’agit d’assurer des milliards d’euros et de placer ces milliards sur le marché, conclut Jacques Lemoine. L’assurance est ce bout de papier finalement très abstrait, mais sans lequel aucune exposition de grande envergure n’est possible. »

(1) Gestion de l’assurance et de la réassurance des risques attentats et actes de terrorisme.
(2) édités par l’Association française des régisseurs d’œuvres d’art (AFROA), Paris, 2002, 254 p., 50 euros, ISBN 2-914664-01-X. Le chapitre dévolu à l’assurance des œuvres d’art comprend des informations très précises et utiles sur les clauses essentielles des contrats.

Où s’assurer ?

Assurances : - AXA ART France, 61 rue de Courcelles, 75008 Paris, tél. 01 44 15 85 85. - Generali France Assurances, 5 rue de Londres, 75009 Paris, tél. 01 58 38 32 35. Courtiers : - Richard de la Baume, 30 rue du Château, 9200 Neuilly-sur-Seine, tél. 01 41 43 20 56. - Gras Savoye, 2-8 rue Ancelle, 92200 Neuilly-sur-Seine, 01 41 43 57 81. - LDA Assurances, 47 rue Vivienne, 75002 Paris, tél. 01 44 88 27 27. - Morel & Cie SA, 2 rue de Penthièvre, 75008 Paris, tél. 01 44 51 02 16.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°193 du 14 mai 2004, avec le titre suivant : Mieux vaut prévenir que guérir

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