Entretien

Mufid Al-Jazairi, Ministre de la Culture en Irak

« La culture a eu cette force de reprendre si vite »

Par Christophe Domino · Le Journal des Arts

Le 14 mai 2004 - 595 mots

Mufid Al-Jazairi, ministre de la Culture nommé par le Conseil intérimaire de gouvernement irakien, est membre du Parti communiste irakien. Actif depuis une douzaine d’années au Kurdistan après avoir vécu en Europe, en particulier à Prague, il a été désigné par son parti quand celui-ci, malgré sa ferme opposition au débarquement de la coalition dans le pays, a finalement pris la décision de participer à la fragile instance mise en place par l’administration américaine après la chute de la dictature de Saddam Hussein. Il nous a accordé un entretien à Bagdad le 11 avril.

 Qu’en est-il de la culture dans l’Irak dévasté d’aujourd’hui ?
Il en va d’une sorte de capacité de notre société, d’une énergie qui ne cesse de m’étonner. Quand je suis revenu à Bagdad, dans la ville qui avait été la capitale de Saddam Hussein pendant trente ans, je pensais qu’après autant de terreur et d’oppression il ne resterait rien de la littérature ou des arts. Mais, dès le début de l’été, l’activité de la culture est repartie, comme une chose qui repousse du sol, et très vite les intellectuels ont engagé des débats sur ce qu’il fallait faire pour que la vie reprenne. J’ai été saisi de la manière  dont les choses ont pu reprendre. Ainsi la culture avait cette force de reprendre si vite. À l’Académie des beaux-arts, à peine deux mois après la chute de la dictature, les étudiants travaillaient sur un projet d’exposition : leur besoin d’expression était plus fort que tout, malgré leurs conditions de vie de gens qui ne mangeaient pas à leur faim, qui n’avaient plus d’eau, d’électricité… À croire que quelque chose de la culture est inscrit dans les gènes et demeure indestructible. Et c’est vrai qu’il y a toujours quelque chose de progressiste dans les faits de culture, et que les sociétés progressistes laissent toujours plus de place à la culture que les autres. La dictature de Saddam Hussein a instrumentalisé la création en tentant d’étrangler tout ce qui ne travaillait pas dans le sens de la célébration de son pouvoir.

Comment s’organise votre action au sein de ce ministère ?
Le plus gros engagement relève des investissements de reconstruction des bâtiments et des sites détruits par la guerre et par les pillages qui ont suivi. En chiffres, cela représente 30 % du budget du ministère, soit une quinzaine de millions de dollars. Deux millions et demi à trois millions de dollars servent à payer ceux qui travaillent pour le ministère. Quant au reste… il faut bien comprendre que nous repartons de zéro, bien sûr sur le plan matériel mais aussi sur le plan humain : tout est à réinventer, puisque nombre de cadres de la culture étaient en prison ou isolés de l’actualité du monde depuis vingt ou trente ans, par le régime, puis par le blocus international. Les arts plastiques ne sont pourtant pas le plus gourmand des domaines, mais les conditions de survie des artistes les ont amenés parfois à de vraies régressions, faisant par exemple de la peinture néo-orientale pour assurer leur survie dans des niches du marché, dans les galeries d’Amman, par exemple. Il faut soutenir les artistes dans leurs besoins fondamentaux de survie, y compris en termes d’ateliers, de matériel, mais c’est une question pour toute la société irakienne. Parmi les actions précises, au-delà du soutien aux musées, à l’Académie des beaux-arts, nous travaillons à mettre sur pied un fonds spécial pour lequel nous avons besoin de financements afin de racheter les œuvres qui ont été pillées dans les musées et dispersées, y compris celles des artistes contemporains.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°193 du 14 mai 2004, avec le titre suivant : Mufid Al-Jazairi, Ministre de la Culture en Irak

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