OneOff

En la poussière nous croyons

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 28 mai 2004 - 595 mots

Utilisée dans l’industrie pour créer maquettes et prototypes en trois dimensions (3D), la technique du prototypage rapide fait aujourd’hui l’objet de moult attentions. Le principe en est simple et plutôt magique : soit une machine, sophistiquée, qui, lorsqu’elle « ingurgite » un fichier numérique contenant toutes les informations d’élaboration d’un objet en 3D, est capable, en quelques heures à peine, de le fabriquer. On peut aisément la comparer à une imprimante à jet d’encre, laquelle, au lieu de dessiner un texte, ligne par ligne, construirait un objet, strate par strate, à la manière d’un mille-feuille. Il existe aujourd’hui plusieurs techniques de prototypage rapide, dont la stéréolithographie – superposition de couches de résine photosensible, qui polymérisent grâce à un laser – et le « frittage » de poudre – superposition, cette fois, de couches de poudre (métal, nylon, céramique, plastique…). Le prototypage rapide offre deux avantages. Il permet de produire des formes très complexes, difficiles voire impossibles à réaliser par usinage ou selon les techniques de moulage traditionnelles. Mais surtout, il réduit au minimum les étapes de la chaîne productive. D’où l’idée qu’ont eue certains designers d’utiliser cette technique pour fabriquer non plus des prototypes mais des produits finis.

Apparence « pâte à sel »
En quelques mois, les projets se sont multipliés. L’an passé, à Milan, le designer italien Gabriele Pezzini avait, sous la houlette de la firme américaine DSM Somos, réuni trois confrères autour de la collection « Made in China », petits objets de consommation courante, réalisés en stéréolithographie, tels un verre, une clé anglaise ou un bougeoir. En janvier, au Salon du meuble de Cologne, le Finlandais Janne Kyttanen et le Néerlandais Jiri Evenhuis ont, eux, exposé Honey Bunns, un tabouret en alvéoles de résine.
Enfin en avril, au Salon du meuble de Milan (lire le JdA n° 193, 14 mai 2004), deux nouveaux projets ont été montrés. D’un côté, la société belge Materialise a dévoilé la collection « .mgx », une dizaine de luminaires imaginés par le duo Kyttanen-Evenhuis, Dan Yeffet et Naomi Kaempfer. De l’autre, la firme milanaise OneOff, fondée en 2002, a invité une vingtaine de jeunes designers du monde entier à réaliser la quarantaine d’objets d’une collection baptisée « In Dust We Trust » [« En la poussière – ou poudre – nous croyons »]. Bijoux, vases, lampes… ont été conçus à partir d’un mélange de plâtre et de colle qui a nécessité plusieurs heures de gestation, quatre pour la bague Money d’Apostolos Porsanidis, trente-cinq pour la suspension NoPully de Cristiana Giopato et Christopher Coombes. Au terme du processus, les objets ensevelis sous la poudre sont d’abord « dégagés » au pinceau, tels des fossiles, puis enduits d’une résine pour être fixés. Le résultat est séduisant. Seul bémol : les pièces sont aussi délicates que de la céramique, et l’aspect rugueux de la poudre leur donne une apparence de « pâte à sel » qui amplifie encore cet air éthéré. Une vulnérabilité qui d’ailleurs était déjà perceptible dans les produits en résine translucide, réalisés en stéréolithographie.
Au final, cette fragilité confère à tous ces objets une allure étrangement abstraite, quasi virtuelle. C’est là, sans doute, le principal défaut du prototypage rapide. On ne sait, pour l’heure, augurer des potentialités d’une telle technique, ni de son réel impact sur le design industriel ou sur la production. Mais la piste, aussi poussiéreuse soit-elle, est bel et bien ouverte.

NB : Les objets de la collection « In Dust We Trust » sont en vente sur le site www.industreal.it, de 160 euros pour une boîte à 2 100 euros pour un ventilateur.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°194 du 28 mai 2004, avec le titre suivant : En la poussière nous croyons

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