Le choix du conservateur

Catherine Join-Diéterle

Conservateur général du Musée Galliera/Musée de la mode de la Ville de Paris

Le Journal des Arts

Le 28 mai 2004 - 564 mots

Catherine Join-Diéterle, conservateur général du Musée Galliera/Musée de la mode de la Ville de Paris présente cinq tenues de la griffe Testu, acquises récemment.

Parmi la production riche et diversifiée des créateurs contemporains, le Musée Galliera a choisi d’acquérir en 2003 cinq tenues se décomposant en vingt vêtements à la griffe de Testu. Le musée a été conquis par la modernité de la démarche du créateur, reflet de la sensibilité de notre époque.
En brouillant de façon subtile les codes traditionnels, Jean-Luc Testu pose la question des genres : existe-t-il encore des vêtements proprement masculins ou féminins quand ils peuvent glisser de l’un à l’autre sans créer une quelconque ambiguïté ? En une vision originale et à l’opposé de ce que l’on voit si souvent aujourd’hui, le créateur nous conduit plutôt vers une féminisation de la garde-robe masculine. On notera aussi la sobriété de la coupe, l’opposition du noir, très présent, au blanc plus discret, le jeu des matières et des techniques : cachemire duveteux, jersey plus sec, velours rasé…
L’approche classique de Jean-Luc Testu rappelle celle de Jean-Paul Knott et son intérêt pour les « basiques », ensemble de vêtements qui se portent d’une saison à l’autre et qui, de ce fait, en viennent à nier la mode et ses changements constants.
Cette modernité, paradoxalement, n’ignore pas pour autant l’histoire de la mode : comme les Anversois, Jean-Luc Testu s’inspire des créations du Moyen Âge et de la Renaissance. Cependant, on est bien loin du vocabulaire employé par la haute couture depuis un siècle comme les manches en gigot ou les jupes bouillonnantes. Ce qui attire le créateur ce sont des caractéristiques qui, combinées les unes aux autres, acquièrent une présence incontestable comme le noir, mis à la mode en Espagne à la Renaissance et que l’Europe entière allait bientôt adopter, comme la robe longue, montée à fronces et qu’on imagine sur une sculpture représentant la Vierge, ou encore la collerette ou la fraise, oubliées depuis longtemps (bien qu’elles aient retrouvé vie à l’époque de l’Empire) et portées ici comme autrefois par les deux sexes.
Mais c’est aussi la qualité d’exécution qui a conduit le musée à retenir ces ensembles. Par l’attention portée à la finition des détails, ces créations de prêt-à-porter se rapprochent de la haute couture : ce sont les fronces de la collerette terminées par des fils de soie, la régularité des plissés des blouses ou des chemises, les nervures de la maille, les boutons qui ne se contentent pas d’orner mais qui ferment le bas des manches. Autre critère de sélection, la manière de présenter les vêtements lors des défilés et dont seules les vidéos pourront garder le souvenir : véritables chorégraphies qui s’inscrivent tout à fait dans la sensibilité contemporaine.
En sélectionnant ces vêtements, le Musée Galliera a cherché à enrichir les départements de créations contemporaines, le masculin comme le féminin. Créés il y a plus de dix-sept ans, ces deux départements de prêt-à-porter réunissent un ensemble considérable de pièces. Des griffes aussi célèbres qu’Anne-Marie Beretta, Jean-Charles de Castelbajac, Jean Paul Gaultier, José Lévy, Popy Moreni ou Élisabeth de Senneville côtoient celles de créateurs moins connus et qui, parfois par manque de moyens, ont dû renoncer à leur propre marque pour travailler comme stylistes dans d’autres maisons. Leur talent n’est pas en cause, seule l’évolution des conditions de création rend, hélas, difficile le maintien simultané de nombreuses marques.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°194 du 28 mai 2004, avec le titre suivant : Catherine Join-Diéterle

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