New York

L’art contemporain, l’avenir du marché de l’art ?

Par Roger Bevan · Le Journal des Arts

Le 11 juin 2004 - 1502 mots

Face à une raréfaction des œuvres d’art moderne et d’après guerre, les collectionnneurs se tournent massivement vers la création récente, poussant les prix vers le haut.

 NEW YORK - Depuis la soirée du 11 mai chez Christie’s, où une seule et unique vente publique a rapporté plus de 100 millions de dollars, l’art contemporain peut sans risque être qualifié de « nouvel impressionnisme ». Les raisons d’un tel engouement sont multiples : l’incertitude liée à l’approvisionnement d’œuvres d’art moderne du début du XXe siècle ; une offre qui va en diminuant pour les grands artistes d’après guerre, provoquant une hausse des prix ; un renouvellement régulier du marché de l’art contemporain avec de nouveaux noms et des réputations grandissantes, mais aussi, et peut-être avant tout, une fascination quasi obsessionnelle pour la nouveauté, qui donne lieu à une concurrence féroce lors d’adjudications d’œuvres d’artistes comme Jeff Koons, Richard Prince, Maurizio Cattelan, Marlene Dumas, Takashi Murakami et Tim Noble & Sue Webster. Qu’une vente de prestige d’art contemporain comprenne un lot atteignant les 50 millions de dollars n’est désormais qu’une question de temps.

Sotheby’s
12 mai 2004, Art Contemporain
Le catalogue de 58 lots faisait figure de grand chelem pour l’auctioneer Tobias Meyer, dont la performance s’est vue saluée par une salve d’applaudissements. Ces lots provenaient de deux sources principales : le promoteur immobilier berlinois Reinhard Onnasch et l’éditeur de journaux et de revues Peter Brant. Onnasch proposait 8 lots dont le 1960-F de Clyfford Still, pour lequel les marchands new-yorkais de C&M Arts ont déboursé 3 144 000 dollars (2 572 621 euros), et la Sewing Machine de Claes Oldenburg, achetée par le marchand new-yorkais Jeffrey Deitch pour 1 464 000 dollars. Lors de son duel avec le galeriste David Zwirner, Jeffrey Deitch pourrait avoir agi pour le compte du collectionneur de Floride Norman Braman. Peter Brant vendait 12 lots, dont il avait acquis la plupart aux enchères durant ces trois dernières saisons, pour financer l’achat d’une usine de papeterie.
Takashi Murakami, Flower Ball (3-D), adjugé 624 000 dollars (519 481 euros, est. 250 000 à 350 000 dollars)
Bien que la force visuelle de ces arrangements floraux illusionnistes, créés sur un format de tondo en 2002, soit évidente, l’engouement actuel pour l’art de Takashi Murakami et des Japonais de sa génération (le marchand new-yorkais Andrew Fabricant ne fourbissait-il pas ses armes pour un nouveau record…) n’a jamais été réellement analysé. Cet intérêt est-il dû à un véritable enthousiasme pour l’œuvre ou relève-t-il d’une stratégie spéculative ? Selon cette dernière hypothèse, les collectionneurs japonais apprécieront un jour l’art de Murakami pour sa valeur en tant que patrimoine national et seront prêts à payer d’importants premiums afin de rapatrier ses travaux. Quelle qu’en soit la raison, quelques investisseurs des plus « intelligents » sur le marché continuent de pousser Murakami à la hausse.
Maurizio Cattelan, The Ballad of Trotsky, adjugé 2 080 000 dollars (1 731 602 euros, est. 600 000
à 800 000 dollars)
Même le membre le plus enthousiaste de l’équipe de Tobias Meyer n’aurait pu prévoir le succès obtenu par cette sculpture, offerte à Londres, chez Christie’s, le 27 juin 2001, et achetée par Peter Brant pour 619 750 livres sterling (1 020 358 euros). Bénéficiant d’une superbe installation dans les galeries créées par l’architecte Richard Gluckman pour Sotheby’s, le cheval ne devait prodiguer qu’un modeste profit à son propriétaire, mais il a surpris le marché en doublant son prix de 2001. Ce résultat souligne l’appétit encore intact pour les créations de Cattelan, intérêt ressenti pendant toute la semaine. Selon diverses sources du marché, l’enchérisseur au téléphone ne serait autre que Bernard Arnault, président de LVMH/Moët-Hennessy.Louis Vuitton. Face à lui, le marchand new-yorkais Jeffrey Deitch pourrait avoir officié pour le collectionneur d’Athènes Dakis Joannou.

CHRISTIE’S
11 mai 2004, Art d’après guerre et art contemporain
L’avancée rapide de l’art contemporain aux enchères a franchi un nouveau seuil lorsque, pour la première fois, Christie’s a affiché un total dépassant les 100 millions de dollars pour un catalogue de 67 lots, sur lesquels 60 ont trouvé preneurs. Le plus haut prix de la soirée, et de la semaine toutes maisons confondues, a été atteint par Number 12 1949 de Jackson Pollock, un chef-d’œuvre aux dimensions réduites, mis en vente par le MoMA de New York avec deux autres toiles de Jean Dubuffet. Bénéficiant d’une provenance irréprochable, le tableau est allé à un client non identifié au téléphone pour 11 655 500 dollars. La galerie C&M Arts a fait l’acquisition de No 15 1958 de Mark Rothko pour 8 967 500 dollars, et un autre enchérisseur au téléphone a déboursé 6 951 500 dollars pour l’Autoportrait d’Andy Warhol. Ces deux tableaux, respectivement deuxième et troisième lots les plus chers de la semaine, ont été mis en vente par le propriétaire de Christie’s, François Pinault.
Jeff Koons, Jim Beam JB Turner Train, adjugé 5 495 500 dollars (4 575 008 euros, est. 2 à 3 millions de dollars)
À une enchère près, cette célèbre sculpture aurait dépassé le record de l’artiste établi chez Sotheby’s à New York le 15 mai 2001 – l’armateur norvégien Astrup Fearnley avait alors payé 5 615 750 dollars le couple de personnages en porcelaine qui fait aujourd’hui figure d’icône, Michael Jackson and Bubbles. Ce prix néanmoins remarquable consolide le statut actuel de Jeff Koons comme artiste le plus « tendance » et celui, a fortiori, de sculpteur du XXe siècle le plus coté avec Constantin Brancusi et Alberto Giacometti. Confiée par la Collection Daros, l’ancienne fondation d’art contemporain de Thomas Ammann basée à Zurich, cette sculpture en édition limitée présente un pedigree prestigieux. Les autres versions sont entre les mains d’Eli Broad à Los Angeles, de Dakis Joannou à Athènes et de Stefan Edlis à Chicago, des collectionneurs qui suivent l’artiste depuis longtemps. Rejoindre ce cercle privilégié était certainement l’une des raisons pour lesquelles ce lot a suscité tant d’enthousiasme et la phase finale des enchères a vu s’affronter trois candidats : la directrice de la galerie new-yorkaise PaceWildenstein, Susan Dunn, qui s’est retirée à 4,6 millions ; à ses côtés, Stavros Merjos, qui officiait pour le propriétaire de la chaîne de librairies américaine Barnes & Noble, Leonard Riggio, et enfin le spécialiste du capital-risque Thomas H. Lee et son épouse Anne Tennenbaum, lesquels, au téléphone, ont réussi à décrocher l’un des trophées de la semaine.
Chuck Close, Gwynne, adjugé 2 807 500 dollars (2 337 246 euros, est. 2,5 à 3,5 millions de dollars)
La rareté des productions de cet artiste laissait augurer d’un nouveau record d’enchères pour ce beau tableau, pour lequel le propriétaire, David Pincus, fabriquant de vêtements pour hommes de Philadelphie, aurait accepté une garantie de 2 millions de dollars. Mais la compétition n’a pas réellement démarré et la toile est allée à un client au téléphone qui s’est révélé être Donald Fisher, le propriétaire de la chaîne de prêt-à-porter américaine Gap. L’œuvre est d’ores et déjà destinée au siège de la société à San Francisco.

Phillips, de Pury & Company
13 mai 2004, Art contemporain
Seul aux commandes depuis le départ de son ancienne partenaire en affaires Daniella Luxembourg, le président Simon de Pury s’est illustré dans une performance théâtrale, avec des variations dans la tonalité de sa voix et changeant même parfois de langue, dans une ambiance de cocktail qui, au lieu de gêner le bon déroulement de la vente, contribuait à l’atmosphère de l’événement. Bien que les recettes se situent loin derrière celles affichées par les deux grandes maisons rivales, Simon de Pury a réaffirmé la capacité de son équipe à offrir des services spécialisés dans l’art de ces quinze dernières années. Des records ont été établis pour des œuvres de Bridget Riley, Richard Prince, Christopher Wool, Marlene Dumas et six autres artistes.
Richard Prince, My Name, adjugé 747 200 dollars (622 045 euros, est. 150 000 à 200 000 dollars)
Il y a six mois, l’artiste établissait un nouveau record aux enchères avec la photographie d’un cow-boy vendue 450 508 dollars le 13 novembre 2003. Ce record a tout simplement été anéanti à l’issue d’une compétition soutenue pour l’une des toiles de l’artiste mise en vente par le Pisces Trust, une société d’investissement en art derrière laquelle se cachent, entre autres, Simon de Pury et Heinrich Erbprinz zu Fürstenberg. Six acteurs du marché, parmi lesquels Tony Shafrazi, ont dû s’incliner devant la détermination de David Ganek, fondateur de Level Global Investments.
Jean-Michel Basquiat, Blue Heads, adjugé 2 024 000 dollars (1 684 982 euros, est. 1,8 million à 2,5 millions de dollars)
Le courtier en art José Mugrabi est à l’origine de la mise en vente de ce tableau, le lot le plus cher de la soirée, qu’il avait payé 662 500 dollars chez Sotheby’s à New York le 18 novembre 1999. C’est Andrea Caratsch, de la galerie Caratsch, de Pury & Luxembourg à Zurich, qu’il l’a acquis, non pas affairé au comptoir téléphonique mais simplement assis dans le public. Il a par ailleurs fait l’acquisition de Crosses (1982) et Diamond Dust Shadow d’Andy Warhol ainsi que de Sans titre (Bar) (1960) de Maurizio Cattelan.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°195 du 11 juin 2004, avec le titre suivant : L’art contemporain, l’avenir du marché de l’art ?

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