Ventes aux enchères

Sotheby’s

Un 36e Vermeer en vente à Londres

Par Martin Bailey · Le Journal des Arts

Le 11 juin 2004 - 764 mots

Redécouverte il y a trois ans, la « Femme au virginal » pourrait atteindre un prix record le 8 juillet chez Sotheby’s Londres.

LONDRES - La Femme au virginal, le tableau de Johannes Vermeer récemment authentifié, pourrait atteindre un prix considérablement plus élevé que son estimation modérée de 3 millions de livres sterling (4,5 millions d’euros) lors de la vente du 8 juillet qui aura lieu chez Sotheby’s à Londres. De petites dimensions (25 x 20 cm), l’œuvre ne fait pas partie des chefs-d’œuvre de l’artiste. Pourtant, une possible adjudication allant de 10 à 20 millions de livres est sur toutes les lèvres.
L’opportunité d’acheter un tableau signé Vermeer est extrêmement rare. Seuls sont connus et authentifiés 35 tableaux, celui-ci étant le dernier en mains privées. Dernier Vermeer en date sur le marché, La Petite Rue est restée invendue lors de la vente publique de 1921, mais fut acquise peu après par Sir Henry Deterding, qui en fit immédiatement don au Rijksmuseum, à Amsterdam.
La Femme au virginal présente une histoire à rebondissements. Exclue de l’œuvre de l’artiste il y a plus d’un demi-siècle, elle est restée cachée dans une collection particulière, avant sa « redécouverte », il y a trois ans. L’exposition « Vermeer et l’école de Delft », en 2001 (1) a en effet officiellement soulevé la question de l’authenticité du tableau. Dans les années 1990, Sotheby’s et le propriétaire du tableau, le baron Frédéric Rolin, collectionneur belge d’art tribal, ont commencé à discuter. Plus récemment, un comité d’experts a été réuni. Frits Duparc, directeur de la Mauritshuis à La Haye nous affirmait en 2001 et d’après une photographie : « Je ne peux pas croire qu’il s’agisse d’un Vermeer. » Un des principaux problèmes réside dans le châle jaune, d’une facture si mauvaise qu’il a dû être exécuté par une autre main. Au mois de mai, Frits Duparc a admis avoir changé d’avis. Les autres membres du comité sont quatre conservateurs (Martin Bijl, Libby Sheldon, Jørgen Wadum et Arie Wallert), deux membres du « projet de recherche Rembrandt » (Ernst van de Wetering et Marieke de Winkel) et Gregory Rubinstein, expert chez Sotheby’s. Fait intéressant : bien que l’ensemble de ces personnes soient extrêmement bien informées sur la période, aucun des éminents spécialistes de Vermeer ne siège au comité. La plupart des experts de Vermeer ont à présent reconnu l’authenticité du tableau, mais quelques-uns doivent encore donner leur verdict.
Récemment, la Femme au virginal a subi un nettoyage au cours duquel tous les anciens repeints ont été effacés. La qualité de l’œuvre originale est apparue au grand jour, notamment les effets subtils d’irrégularité du mur en plâtre de l’arrière-plan, rappelant le mur très réaliste de La Laitière, conservée au Rijksmuseum. Aujourd’hui, Frits Duparc croit que « seul Vermeer était capable de peindre un tel mur ».
L’examen des pigments fait également pencher la balance. La présence de jaune de plomb-étain démontre que la peinture remonte au XVIIe siècle. Si la terre verte dans les tons de chair était inhabituelle chez les artistes de l’âge d’or flamand, on la retrouve fréquemment chez Vermeer, tout comme l’ultramarine, pigment onéreux provenant du lapis-lazuli. Par ailleurs, la toile à large tissage est non seulement de dimensions identiques à celle utilisée par Vermeer pour La Dentellière (Musée du Louvre, vers 1670), mais elle est de type similaire et provient probablement du même et unique rouleau. La couche d’apprêt des deux toiles est également identique.
Sotheby’s date pour sa part le tableau des alentours de 1670. La spécialiste en costumes Marieke de Winkel a fait valoir en effet que cette coiffure et les rubans étaient à la mode pendant seulement deux ans, et ce vers 1670 – la mode changeait alors aussi fréquemment qu’aujourd’hui. Cette date implique que la toile fut peinte plusieurs années avant les deux autres compositions  figurant des joueuses de virginal – Femme assise devant un virginal et Femme debout devant un virginal, datant de 1673 environ (National Gallery de Londres). Si cette date de 1670 est acceptée, la toile pourrait prendre le statut de « première exploration ». Frits Duparc daterait cependant cette œuvre de 1675, année de la mort de Vermeer. Il s’agirait alors d’un tableau indépendant, réalisé à une époque où le travail de l’artiste avait perdu en qualité – ce qui expliquerait pourquoi le châle est resté inachevé –, bien que la coiffure et les similitudes relevées avec La Dentellière plaident largement en faveur d’une date antérieure.

(1) présentée au Metropolitan Museum of Art, à New York, puis à la National Gallery de Londres (JdA n° 123, 16 mars 2001).

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°195 du 11 juin 2004, avec le titre suivant : Un 36e Vermeer en vente à Londres

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