La peau de l’architecture

Par Gilles de Bure · Le Journal des Arts

Le 11 juin 2004 - 796 mots

Le tandem bâlois Herzog et de Meuron a su porter l’architecture suisse au pinacle international. Lauréats du Pritzker Prize en 2001, les voilà qui s’exposent chez eux, au Schaulager, le musée qu’ils ont conçu.

Au fond, l’exposition débute dès l’approche du lieu où elle se déroule. En bordure de la voie ferrée, aux abords d’une friche incertaine, s’élève le Schaulager, une architecture qui joue tout autant de la mise en tension des volumes que de la profondeur de la matière et qui illustre parfaitement l’écriture spécifique de Herzog et de Meuron.
Curieux équipement d’ailleurs que ce Schaulager édifié pour le compte de la Fondation Emmanuel Hoffmann d’après un concept inédit de réserve visitable. Soit un haut lieu de la conservation de l’art contemporain qui, parfois, se transforme en lieu d’exposition. Il était donc logique que ses concepteurs s’y exposent un jour en pleine gloire. Et ceux-ci se sont livrés à l’exercice avec souffle et générosité : cent projets expliqués, décodés, illustrés par plus de mille esquisses, dessins, plans, maquettes, prototypes et photographies. D’emblée s’offrent une multitude de projets, en apparence dispersés dans le grand espace central sur une centaine de tables et aux creux de quelques cabines et cabinets. Le tout dans un ordre aléatoire mais que les films vidéo réalisés par trois artistes, Zilla Leutenegger, Armin Linke et Ai Weiwei, réorganisent en tendant des passerelles et des correspondances. Dans les cinq salles qui entourent l’espace central, Herzog et Meuron se donnent à voir de façon plus thématique. D’abord en se livrant à une exploration du dessin comme matière première du processus de création. Ensuite en analysant deux projets chinois (dont celui du grand stade de Pékin, conçu comme un nid d’oiseau), manière pour les Suisses d’envisager leur relation spécifique à la ville et au développement urbain. Enfin, en insistant sur leur rapport constant à l’art contemporain et aux échanges qu’ils entretiennent en permanence avec les artistes (Rémy Zaugg fut d’ailleurs longtemps associé à eux). Certes s’agit-il là d’une subtile et complexe utilisation du lieu, ce qui était bien le moins qu’on était en droit d’espérer de la part de ses concepteurs. Mais il s’agit surtout de la traversée de l’œuvre et de la pensée d’architectes parmi les plus passionnants et les plus innovants qui soient aujourd’hui. Architectes qu’on a sans doute trop souvent envisagés comme relevant d’un radicalisme pur et dur. Jacques Herzog reconnaît d’ailleurs lui-même que, dans les années 1980, leurs œuvres pouvaient sembler sèches et inhospitalières : « Notre dessin devenait de plus en plus minimal ; nous voulions une architecture sans aucun aspect figuratif. » Depuis, les choses se sont adoucies ou plutôt, enrichies, complexifiées. Il suffit, pour s’en convaincre, d’observer le travail de réhabilitation effectué par les deux compères sur la centrale électrique de Bankside, sur la rive sud de la Tamise à Londres, bâtiment qui allait devenir la Tate Modern.
Ou encore l’immeuble-boutique imaginé pour Prada à Tokyo et dont l’architecture à facettes, assemblage très élaboré de panneaux de verre en losanges tantôt plats, tantôt convexes ou concaves, compose d’étonnantes façades cristallines.

Ondulations de cuivre 
On pourrait encore citer, puisque nous sommes sur place, le poste d’aiguillage de la gare de Bâle qui, par un jeu tout en ondulations de lamelles de cuivre, sublime à la fois la technique et le mouvement, la matière et l’évanescent.
C’est que le travail sur la peau de l’architecture est essentiel dans toute la trajectoire d’Herzog et de Meuron. Jacques Herzog encore : « Nous intensifions constamment nos recherches dans le domaine des matières et des surfaces. Parfois seuls, parfois avec des industriels ou des laboratoires, parfois même avec des artistes ou des biologistes. » Cette dimension de recherche, l’exposition nous l’offre au plus près. Herzog et de Meuron sont coutumiers des masques. Leur architecture est souvent vue et lue comme abstraite, leurs idées devenant invisibles au fur et à mesure que progresse la réalisation du projet. D’autant que, celui-ci terminé, il n’affiche ni style, ni signature, ni expressivité prédominants. Et c’est bien cette profondeur de la matière, essentielle chez eux, qui nous est ici dévoilée. Une traversée du miroir en quelque sorte. À l’issue de la visite, on croit entendre Paul Valéry murmurer : « Ce qu’il y a de plus profond chez l’homme, c’est la peau. » Et à l’humour subtil de Valéry, répond le volontarisme poétique de Herzog et de Meuron : « Nous recherchons des matériaux dont la beauté est à couper le souffle, comme les cerisiers en fleurs au Japon, aussi condensées et compactes que des formations rocheuses dans les Alpes, ou aussi énigmatiques et insondables que la surface des océans. »

Herzog %26 de Meuron, NO. 250, une exposition

Jusqu’au 12 septembre, Schaulager, Ruchfeldstrasse 19, Münchenstein/Bâle, tél. 41 61 335 32 32, www.schaulager.org, mardi-vendredi 12h-18h, jeudi jusqu’à 19h, samedi-dimanche 10h-17h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°195 du 11 juin 2004, avec le titre suivant : La peau de l’architecture

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