Procédure

Le « frein trust » protège l’expert

Par Jean-Marie Schmitt · Le Journal des Arts

Le 25 juin 2004 - 638 mots

 Paris - La Cour de cassation a annulé un arrêt de la cour d’appel de Paris qui avait condamné l’expert d’un tableau de Marie Laurencin à d’importants dommages-intérêts après la contestation de l’authenticité du tableau par des acquéreurs américains. En cause : le droit d’agir de l’acheteur.
Des affaires précédemment relatées dans le Journal des Arts pouvaient laisser penser que les juges français se montraient sévères avec les experts dont les certificats hasardeux fondaient des chaînes de transactions avec les professionnels étrangers. C’était en quelque sorte la rançon du crédit dont jouissent les experts nationaux en matière de tableaux modernes. Les raccourcis adoptés par les juges d’appel manifestaient leur souci de ne pas se laisser entraîner dans les méandres contractuels complexes des transactions sur le marché de l’art. D’une certaine façon, ces décisions peuvent rendre plus lisible aux yeux des étrangers la jurisprudence française en matière d’authenticité, et indirectement renforcer la confiance dans les experts. La Cour de cassation vient sans doute de donner un petit coup de frein à cette orientation. Elle avait été saisie d’un recours contre un arrêt de la cour d’appel de Paris du 9 novembre 2001 rendu au profit du marchand américain M. G. Celui-ci avait acheté en 1969 un tableau de Marie Laurencin accompagné du certificat d’un expert français de très grande notoriété. Il avait ensuite fait un compte à demi avec un confrère, ainsi devenu copropriétaire du tableau. L’œuvre, acquise pour 17 500 dollars, avait été revendue en 1990 à des amateurs américains, dans la fièvre spéculative de l’époque, pour 450 000 dollars. Mais, à la suite d’une contestation de l’authenticité, le tableau avait été restitué par les acheteurs aux deux marchands américains, au terme d’une transaction prévoyant le remboursement de 350 000 dollars.
Les tribunaux français étaient saisis du contentieux sous la forme d’une demande d’annulation de la vente d’origine, assortie d’une action en dommages-intérêts contre l’héritier de l’expert français. Ce dernier avait rédigé le certificat d’authenticité afin de voir réparer le préjudice financier résultant de l’annulation de la revente de l’œuvre. La cour d’appel de Paris avait accepté la demande et condamné l’expert à verser une indemnité de 600 000 francs (91 469 euros).
L’action judiciaire avait été introduite par le marchand américain M. G., qui avait acheté seul le tableau en 1969 avant d’en partager la propriété avec l’un de ses confrères. Mais, à son décès, la propriété du tableau était passée dans l’indivision entre ce dernier et le trust gérant la succession du défunt marchand. L’expert français avait plaidé que l’action du survivant était donc irrecevable, car il avait agi seul. La cour d’appel n’avait pas accepté l’argument, en relevant que, « lors de la vente de 1969, M. G. s’[était] porté seul acquéreur du tableau et qu’il [était] par conséquent le seul habilité à demander l’annulation de la vente ». La Cour observait également que « c’[était] à lui que le tableau a[vait] été restitué à l’issue de la transaction et qu’il en [était] le possesseur régulier en sa qualité à la fois de copropriétaire et de trustee (du trust gérant la succession du marchand décédé), ainsi qu’il résulte du procès-verbal de transaction versé aux débats ».
Mais la Cour de cassation a estimé que les juges d’appel n’avaient pas motivé leur décision concernant les pouvoirs du trustee car, en droit français, le propriétaire indivis seul peut engager uniquement des actions conservatoires. Si la elle a donné un répit à l’expert français et rappelé les juges à la rigueur procédurale, la Cour n’a pas critiqué le fond de la sentence. De sorte que si le demandeur peut établir devant la cour de renvoi qu’il avait bien pouvoir d’agir tant en son nom qu’au nom du trust de son collègue défunt, la sanction contre l’expert pourrait être confirmée.

(Cass. 1re ch.civ. 30 mars 2004. Arrêt 535 FS-D)

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°196 du 25 juin 2004, avec le titre suivant : Le « frein trust » protège l’expert

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