Art contemporain

Paroles d’artiste

Annette Messager

« C’est comme une ville morte engloutie sous la mer »

Par Anaïd Demir · Le Journal des Arts

Le 25 juin 2004 - 784 mots

PARIS

Depuis les années 1970, Annette Messager semble avoir passé un pacte avec l’art, le féminin et le sacré. Avant de représenter la France à la prochaine Biennale de Venise, en 2005 – la première fois pour une femme –, l’artiste revient sur son exposition au couvent des Cordeliers, à Paris.

D’où vient le titre de l’exposition, « Sous vent » ?
Évidemment, il y a du vent au couvent. En fait, c’était un jeu de mots, une histoire de consonance. Et aussi, disons que je suis un peu dans l’obsession. Donc, je fais souvent…

Que représente ce voile qui recouvre toute la pièce ?
J’aime bien l’idée de la chose cachée. Plus elle est cachée, plus on a envie de la regarder et la comprendre.

Comment avez-vous joué avec les spécificités du lieu, son histoire, sa mémoire, le spirituel et le mystère qui y règnent ?
Quand on vous propose un espace tel que ce très grand couvent, son architecture est très présente. Ce n’est pas un white cube et, en plus, il est vraiment chargé d’histoire. Ce qui m’intéressait, c’est qu’il y avait un énorme passé à la fois religieux et politique, puisque ce couvent a été fondé par les franciscains et a aussi été très important pendant la Révolution. Ainsi Danton y a prononcé des discours.

Comment la partie politique vous a-t-elle inspiré ?
J’ai, par exemple, glissé des masques d’hommes politiques actuels sous les voiles. Ce sont en même temps un peu comme des têtes coupées. Et puis, il y a deux fois la baignoire de Marat. Des baignoires pour enfant, en plastique, dont ressort une abondance de laine rouge comme… la baignoire ensanglantée de Marat. Ce dernier a été assassiné par Charlotte Corday tout près d’ici et a été porté dans le couvent. On raconte que le bras de Marat était si gangrené qu’on l’a remplacé par celui d’un mort de l’École de Médecine, membre qu’on lui a recousu. Évidemment, tout ça me plaît beaucoup ! Nostradamus aurait été enterré ici. Beaucoup de tombeaux ont été volés pendant la Révolution.
Le passé du couvent étant très chargé, je me suis dit que je n’allais pas m’arrêter sur un thème mais mettre ensemble toutes les choses qui constituent mon présent… et puis recouvrir tout ça. Quant au voile, c’est ce qui sépare le profane du sacré, d’autant plus avec cette lumière un peu diaphane qui vient d’en dessous.

Ce voile est aussi comme un animal qui respire. Il y a ce côté organique dans le voile et les objets qu’il recouvre.
Il y a des côtés un peu curieux , mais, en même temps, il faut laisser ce voile faire ce qu’il veut… Je n’avais pas de mouvements à lui imposer. C’est lui qui m’a montré comment il aimait bouger. C’est lui qui gère sa respiration. C’est aussi comme une ville morte engloutie sous la mer, quand tout est éteint et le tissu mis à plat sur les éléments. On peut se raconter beaucoup d’histoires à partir de là, et c’est ce qui m’intéresse.

Vos quatre expositions au Musée d’art moderne de la Ville de Paris (1) décrivent-elles autant d’étapes de votre travail ?
Sûrement. L’avant-dernière, c’était une rétrospective, cela rassemblait donc un peu tout ce que j’avais fait. Sinon, c’était chaque fois un moment de mon travail. Pour la première exposition, je venais de commencer, c’était en 1974. C’était le tout début des albums-collections, des pensionnaires, avec les petits animaux empaillés… 

L’aspect fétiche a-t-il disparu au fil du temps ?
Tout est fétichisé et sacralisé ici. Il y a une lumière presque religieuse. Ce sont des objets de chez moi, à la fois des morceaux de mon travail et mes objets quotidiens, comme ma doudoune, tout est imbriqué, et comme sublimé. Et puis, je me suis aperçue avec cette pièce autour de l’air, du vent, que je travaillais aussi comme ça… Il y a des vents qui arrivent, qui me poussent dans une direction, ou bien, c’est la dépression totale, l’arrêt… Je suis en tempête, en rafales, en dépression comme les vents. Le vent est une sorte d’énergie qui vous pousse. Je suis née à Berck (Nord). C’est le pays du vent.

(1) Avant « Sous vent » : 1974, « Annette Messager collectionneuse » ; 1984, « Pièges à chimères » ; 1995 « Faire parade, 1971-1995 ».

Sous vent

Jusqu’au 3 octobre 2004, Musée d’art moderne de la Ville de Paris (MAMVP) au couvent des Cordeliers, 5, rue de l’École de Médecine, 75006 Paris, tél. 01 53 67 40 00. Également, dans le cadre des « Intrus », le Musée national du Moyen Âge-Hôtel de Cluny accueille Mes Petites Effigies (1988), une œuvre de la collection du MAMVP.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°196 du 25 juin 2004, avec le titre suivant : Annette Messager

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