Essais

L’art de l’histoire

Par Alain Cueff · Le Journal des Arts

Le 8 juillet 2004 - 476 mots

Deux études magistrales d’Erwin Panofsky font l’objet d’une nouvelle édition.

Comme de nombreux autres intellectuels allemands émigrés aux États-Unis à la veille de la Seconde Guerre mondiale, Erwin Panofsky (1892-1968) s’est trouvé dans l’obligation de reconsidérer la tradition germanique, libérée de toute instrumentalisation idéologique, et de l’analyser dans une langue neuve. L’ouverture interdisciplinaire des universités américaines lui a permis de faire fructifier l’héritage d’Aby Warburg, d’affiner sa propre méthode iconologique, mais a aussi favorisé un certain style d’écriture, remarquable à plus d’un titre. L’essai sur Albrecht Dürer est exemplaire de cet usage rigoureux du savoir et de cette capacité à le déployer dans une langue aussi claire que précise sans sacrifier la moindre exigence scientifique. Il n’est ni exagéré ni superflu de reconnaître en Panofsky un écrivain accompli qui sait, avec une grande discrétion, associer son lecteur au mouvement de la découverte et de la pensée.

Profondeur de vues
Comme le rappelle François-René Martin dans sa préface, Albrecht Dürer (1471-1528) est au centre des intérêts de l’historien, depuis ses années d’études à Fribourg (Suisse) jusqu’au Saturne et la Mélancolie, publié en 1964. L’humanisme du maître de Nuremberg a évidemment laissé une empreinte profonde dans sa philosophie de l’art : l’empathie vis-à-vis de son sujet est palpable dans le présent essai. Publié aux États-Unis en 1943, La Vie et l’art d’Albrecht Dürer est le fruit longuement décanté de conférences données à l’adresse d’un public non spécialisé. Selon une perspective chronologique qui embrasse la carrière du graveur dans la variété de ses aspects biographiques, Panofsky ne perd pas de vue la question de l’individualisme de l’artiste et de ses confrontations successives à l’art flamand et italien. Si la voix de l’Allemagne ne s’est pas fait entendre en tant que telle dans la « grande fugue » de la tradition occidentale, écrit-il, elle s’est en revanche glissée subrepticement par le truchement de fortes personnalités comme Dürer. Et le rôle de ce dernier est d’autant plus important que, fils d’orfèvre, il exploitera avec un génie patient et déterminé toutes les possibilités techniques et esthétiques de la gravure. Cet essai sur Dürer est resté une référence, et le long développement qui y est consacré à Melencolia I demeure, par exemple, un passage obligé pour les historiens d’aujourd’hui.
Panofsky fut dans bien des domaines un pionnier, et il partage en tant que tel le sort commun aux découvreurs : certaines de ses attributions, dans la monumentale étude consacrée aux primitifs flamands, ont été depuis corrigées ou amendées. Ces points d’érudition ont leur importance, mais ne remettent pas en cause sa profondeur de vues et son extraordinaire capacité à rendre le visible intelligible.

- Erwin Panofsky, La Vie et l’art d’Albrecht Dürer, préface de François-René Martin, éditions Hazan, 2004, 416 p., 300 ill., 25 euros. ISBN 2-85025-916-0 - Erwin Panofsky, Les Primitifs flamands, éditions Hazan, 2003, 936 p., 476 ill., 34 euros. ISBN 2-85025-903-9

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°197 du 8 juillet 2004, avec le titre suivant : L’art de l’histoire

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