Mira vaut bien un « partnership »

Par Armelle Malvoisin · Le Journal des Arts

Le 10 septembre 2004 - 810 mots

« Copilotage » franco-américain pour la dispersion Mira Jacob, une collection privée de peintures et d’œuvres sur papier des XIXe et XXe siècles. Une première.

 PARIS - Contraintes fiscales obligent (1), la vente aux enchères de la succession Mira Jacob, organisée avec hâte, se retrouve catapultée à la rentrée automnale, une période qui, habituellement rythmée par des ventes courantes, prend sa vitesse de croisière à partir de la fin octobre. Fait exceptionnel, le mariage hybride le temps d’une vacation de deux maisons de ventes, une SVV parisienne codirigée par le commissaire-priseur Isabelle Bailly-Pommery et l’Américaine Sotheby’s, scelle une affaire estimée 4 millions d’euros au bas mot. Les deux héritiers auraient-ils chacun imposé leur enseigne ? « Pas du tout, rétorque Isabelle Bailly-Pommery. Les deux vendeurs sont mes clients. Ils ont voulu internationaliser la vente et m’ont laissé carte blanche pour un partenariat avec l’un ou l’autre des deux auctioneers installés à Paris. Je dois dire que Sotheby’s s’est montrée beaucoup plus souple que sa concurrente… » Un accord a été conclu avec la multinationale américaine, rémunérée à 45 % contre 55 % pour le commissaire-priseur français, apporteur de l’affaire. Cette dernière tiendra le marteau à Drouot-Montaigne les 23 et 24 septembre. Revient à Sotheby’s l’édition du catalogue et sa diffusion dans le monde. Quant aux experts, allez savoir pourquoi, ils travaillent en binômes, pour ne pas dire en doublons. Le spécialiste de Sotheby’s Andrew Strauss, directeur du département d’art impressionniste et moderne de Sotheby’s France, a ainsi été assisté par l’expert de Drouot Frédérick Chanoit pour les tableaux et les œuvres sur papier. De même, Jonathan Pratt, directeur du département des gravures de l’antenne londonienne, a composé avec l’expert Sylvie Collignon.
Mais qui était Mira Jacob ? La vieille dame qui s’est éteinte au printemps dernier à l’âge de 92 ans était un personnage plutôt discret. Elle avait ouvert en 1955 à Paris une galerie nommée « Le Bateau-Lavoir » où se rendaient les amateurs de gravures et d’œuvres sur papier de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle. Elle tint sa boutique jusqu’en 1990, bien que devenue moins active les quinze dernières années. Si les gravures composant la moitié de la vente en volume proviennent de sa boutique de la rue de Seine, la première partie de la vacation, sous les feux des projecteurs, concerne sa collection personnelle, qui tourne autour de deux artistes majeurs, le symboliste Odilon Redon et l’artiste belge Paul Delvaux, à hauteur de plusieurs dizaines d’œuvres sur papier. « C’est un peu l’avant- et l’après- surréalisme. Redon le précurseur dont les compositions mystiques ont influencé les surréalistes et Delvaux qui, sans jamais avoir été membre officiel du mouvement, peignait son propre monde imaginaire », résume Andrew Strauss, non mécontent d’avoir prononcé le mot magique surréalisme, lequel a pris une tournure spéculative depuis la vente Breton. « Mira Jacob était l’amie de plusieurs personnalités des milieux littéraires et artistiques de son époque comme André Breton, Alberto Giacometti, René Char ou Paul Delvaux. Elle est l’auteur du catalogue raisonné des œuvres graphiques de ce dernier », poursuit-il. Une lumineuse scène de nuit intitulée Le Mirage, huile sur toile datée de 1967 et signée Delvaux, estimée 600 000 à 800 000 euros, et un beau pastel et sanguine vers 1890 de Redon figurant le portrait de sa femme Camille, estimé 400 000 à 600 000 euros, sont les deux poids lourds de la vacation. Un petit dessin cubiste, « Verre, pot et livre », de Picasso daté de 1908, l’étude pour un tableau conservé au Musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg, estimé 45 000-60 000 euros, et, dans la même fourchette de prix, un rare pastel de Delaunay de 1912, ne devraient pas passer inaperçus.
Cette collection préservée loin des yeux du public depuis plusieurs décennies a été évaluée à un niveau de marché international. « Cela ne fera pas le double des estimations », confirme Andrew Strauss. À l’exception peut-être de Filiger, un artiste très franco-français dont les œuvres ont pourtant été remarquées à la vente Breton, la réussite de la vacation semble reposer sur les épaules de l’auctioneer. À Drouot, on attend de savoir quelle sera son effective force de frappe avant d’émettre la moindre opinion sur ce type de collaboration.

(1) Dans le cadre d’une succession, sous peine de pénalités, les légataires sont tenus de déclarer le montant du patrimoine reçu dans les six mois suivant le décès de la personne dont ils héritent.

COLLECTION PRIVÉE MIRA JACOB

Vente les 23 et 24 septembre à Drouot-Montaigne, 15, avenue Montaigne, 75008 Paris, tél. 01 48 00 20 80, SVV Bailly-Pommery - Voutier & associés SARL (tél. 01 47 70 41 41) et Sotheby’s (tél. 01 53 05 53 05) ; expositions publiques : les 13,14, 21, 22 septembre, 11h-18h, et le 23 septembre, 10h-15h, à Drouot-Montaigne, les 16 et 17 septembre, 10h-18h, chez Sotheby’s Paris.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°198 du 10 septembre 2004, avec le titre suivant : Mira vaut bien un « partnership »

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