Les objets de la Biennale

Par Armelle Malvoisin · Le Journal des Arts

Le 10 septembre 2004 - 1397 mots

Pour chaque Biennale, les marchands dévoilent des pièces extraordinaires. Nous vous proposons de découvrir six œuvres majeures de l’édition 2004.

 Histoire d’astronomes chinois
« Les Astronomes » - Cette tapisserie, sortie d’une collection privée française, retrace l’un des épisodes de L’Histoire de l’Empereur de Chine. Les modèles et cartons, datant des années 1685-1690,  sont l’œuvre de trois peintres qui ont trouvé leur inspiration dans des ouvrages et gravures sur la Chine. On y voit l’empereur Kangxi, vêtu de rouge avec l’emblème impérial du dragon ailé sur la poitrine, parlant avec le Père Schall van Bell la main gauche levée, l’autre main reposant sur un globe terrestre. À côté, des personnages tiennent divers instruments d’astronomie. La scène se déroule probablement sur la tour de l’observatoire de Pékin. « Issue de la grande période de la tapisserie française qui a vu naître des pièces d’une qualité de modèle, de teinture et de tissage inégalée, cette tapisserie aux couleurs chatoyantes est une somptueuse évocation de l’exotisme extrême-oriental correspondant au goût de l’époque, souligne Nicole de Pazzis-Chevalier (Galerie Chevalier). L’empereur Kangxi était le contemporain de Louis XIV (1662-1722), ce qui la rend d’autant plus séduisante. Par ses dimensions modestes, elle peut  intéresser aussi bien un particulier qu’un musée. » Plusieurs grandes institutions possèdent des tapisseries de cette tenture dont le J. Paul Getty Museum, à Los Angeles, qui conserve une composition des Astronomes pratiquement identique à celle-ci.
Armelle Malvoisin-Bianco

La métamorphose
« Ulysse devant Circé » - Circé donnant la potion magique à Ulysse : ce sujet est rare aussi bien dans la sculpture que dans la peinture baroque, bien que l’épisode mythologique fût à la mode à Paris à partir des années 1673-1675 – époque où Corneille et Marc Antoine Charpentier le portèrent au théâtre et en musique. Ulysse est ici représenté alors qu’il entre dans le palais de Circé pour sauver ses compagnons qui viennent d’être transformés en pourceaux. À l’extrême droite, l’un d’eux est déjà métamorphosé en sanglier, tandis qu’un autre a encore un corps d’homme. Circé tend au héros grec un calice de potion magique que la servante garde dans la carafe qu’elle présente en même temps que la baguette magique. Mais Ulysse, averti par Mercure, dispose d’une herbe qui sert d’antidote au filtre magique. Pour l’historien de l’art Tomaso Montanari, « il s’agit d’une œuvre de remarquable qualité inventive et d’exécution, situable avec sûreté dans le milieu de la sculpture française entre la seconde et la quatrième décennie du XVIIIe siècle. Elle est caractéristique d’un goût déjà rocaille, évident dans des détails comme le casque d’Ulysse ou le visage souriant du Cupidon, et d’un goût complètement baroque pour le rendu des superficies des différents matériaux. On remarquera l’attention portée à reproduire l’étoffe du coussin sous le pied de Circé, ou le manteau hirsute de l’homme-sanglier. » Tomaso Montanari attribue cette sculpture à Jean Thierry, sculpteur de Lyon surtout actif en Espagne, au service de Philippe V.
A. M-B.

Le guéridon du cardinal
Guéridon en bois doré - On a coutume d’épingler les achats des marchands en ventes publiques, surtout si les œuvres acquises sont prestement présentées dans une foire. De tels achats dénotent pourtant parfois d’un travail de recherche en amont. Tel est le cas de ce meuble acquis chez Christie’s Londres en 2003. La description du catalogue de vente ne mentionnait pas la provenance du cardinal Fesch, oncle de Napoléon Ier. Le spécialiste Bill Pallot a rapproché cette pièce de deux autres guéridons en bois doré garnis d’un plateau en porphyre, conçus sur le même principe et ayant appartenu au cardinal. Le premier, conservé au Musée du Louvre depuis 1889, est supporté par trois griffons ailés. Le second appartenait à l’antiquaire Jean Gismondi, qui l’avait présenté lors de la Biennale des antiquaires de 1996. Ce modèle était supporté par trois pilastres cannelés à têtes de Mercure. L’exposition « Porphyre. La pierre pourpre des Ptolémées aux Bonaparte », organisée récemment au Louvre, est venue enfin confirmer l’intuition de la galerie. Le cardinal Fesch avait vraisemblablement acheté une colonne antique qu’il avait fait découper en plusieurs tronçons pour façonner treize tables. Les ventes de 1816 et 1824 du cardinal ne portent pas trace de ces objets, mais ces inventaires ne consignent qu’une partie du mobilier Fesch, ne tenant pas compte de celui localisé à Rome. La chasse aux dix autres tables est ouverte !
Roxana Azimi

Abracada Braque
« Verre et carte » - « Les tableaux cubistes sont devenus rares en main privée », rappelle Daniel Boulakia, non mécontent de présenter son petit Braque de 1913. Provenant à l’origine de la galerie Kahnweiler, à Paris, ce tondo aborde dans une palette de couleurs marron, gris et blanc le cubisme analytique. Les objets sont éclatés, les formes imbriquées les unes dans les autres avec des effets de semi-transparences qui semblent fuser dans l’espace de la toile. On peut distinguer le verre au centre de la composition et la carte sur la droite. Les autres éléments sont difficilement identifiables, mais la reconnaissance du sujet est secondaire dans le cubisme analytique. Seuls importent l’équilibre des lignes verticales, horizontales et diagonales, la subdivision des plans et la compression de l’espace qui définit la composition. Pour mieux formuler cet art radical, l’artiste a choisi des objets ordinaires de la vie courante. Enfin, si le format ovale, très utilisé par Braque, suggère le dessus d’une table, il sert surtout à accentuer la structure géométrique de la peinture. « Avec des formats ovales, je retrouve le sens de l’horizontal et du vertical », commentait l’artiste. « Cette toile est saisissante. Quand on rentre dedans, elle vous prend par différents côtés », rapporte pour sa part le galeriste. On peut rapprocher ce tableau par son format et sa provenance de celui de la collection Withney (Bouteille et Verre, vers 1910-1911), vendu 1,9 million de dollars (2,22 millions d’euros) chez Sotheby’s le 5 mai dernier à New York.
A. M.-B.

Réminiscences néoclassiques
Canapé et paire de fauteuils en chêne sculpté et doré à décor de cygnes - Après l’ensemble d’Eileen Gray en 2000, la galerie Vallois relève le gant en présentant quinze pièces réalisées par Armand-Albert Rateau pour l’hôtel particulier parisien de la couturière Jeanne Lanvin, rue Barbet-de-Jouy, dans le 7e arrondissement. Créateur singulier comme pouvait l’être dans son genre Carlo Bugatti, l’architecte décorateur est surtout connu pour son traitement des bronzes et son inspiration baroque nourrie au répertoire étrusque et mésopotamien. À l’heure où le fonctionnalisme s’impose en langage dominant, Armand-Albert Rateau s’attache à l’idée honnie d’ornement. Il conçoit dès lors pour la couturière un palais évoquant celui des Mille et Une Nuits. L’inspiration de ce mobilier en chêne n’est toutefois pas celui d’un Orient fantasmé. Les cols de cygnes font poindre plutôt des réminiscences néoclassiques. Le motif de la marguerite se répète dans tous les recoins des assises, comme presque sur tous les meubles conçus pour la styliste. Cette fleur est le vrai « blason » de Jeanne Lanvin, qui voulait avoir toujours à l’esprit sa fille unique, Marguerite, devenue Marie-Blanche de Polignac. Ironiquement, les visiteurs auront le loisir de voir pendant quelques jours des pièces dont les pendants, conservés à quelques encablures du Carrousel, au Musée des arts décoratifs, tardent à être redéployés...
R. A.

Piano onduleux
Grand Piano - Il est dans la vie des marchands des hasards surprenants. Quelque temps avant la Foire de Maastricht, Philippe Denys (Bruxelles) avait acheté un piano de Poul Henningsen au Danemark. Il l’avait aussitôt revendu à des collectionneurs américains. Informé de l’existence d’un piano semblable dans une collection new-yorkaise, Philippe Denys pense alors en faire le clou de son stand à Maastricht. Les lenteurs des douanes américaines, tatillonnes en matière d’ivoire, empêchent le piano d’arriver à temps. Un contretemps qui permet de le retrouver à la Biennale. Commande de l’État danois, ce piano avait appartenu à l’ambassadeur du Danemark aux États-Unis. Un exemplaire de ce piano se trouve au Musée des arts décoratifs de Copenhague, un autre dans la villa Mairea construite par Alvar Aalto, en Finlande. Avouons-le, les contraintes acoustiques des instruments de musique sont telles que les marges de fantaisie sont souvent limitées. Le meuble impressionne d’autant plus par sa synthèse entre fonction et esthétique. Plus beau que le modèle réalisé par Eckart Muthesius pour le maharadjah d’Indore, plus audacieux que ceux, assez bourgeois, conçus par Jacques-Émile Ruhlmann ou Jules Leleu, ce spécimen très architecturé possède des galbes forts et une ligne aérienne. Entre les mains de Henningsen, l’instrument devient sculpture.
R. A

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°198 du 10 septembre 2004, avec le titre suivant : Les objets de la Biennale

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