Expérience

Double feature

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 10 septembre 2004 - 581 mots

En ouvrant les portes de la perception à Marseille, Carsten Höller touche aux limites de la sensation.

 MARSEILLE - Lunettes à visions inversées (Upside-down Glasses, 1994-2004), Sac à dos du matériel d’expédition pour l’exploration de soi (Rucksack of the Expedition Equipement for the Exploration of the Self, 1995), les deux dispositifs mis à disposition par Carsten Höller à l’entrée du Musée d’art contemporain de Marseille (MAC) donnent d’emblée le ton. Le premier – que l’on peut même emprunter pour une semaine – procure l’impression de marcher au plafond, tête en bas ; le deuxième, plus lourd à manier, confronte, lui, l’utilisateur à son reflet. Avec ou sans lunettes, c’est d’ailleurs en double que se visite la nouvelle proposition, pensée comme une illusion totale, de l’artiste. « Le double n’existe pas, puisque l’unique n’existe pas », prévient Carsten Höller dans le texte ouvrant son exposition. Scindé en deux dans le sens de la longueur, l’espace intérieur du MAC contient, à la manière d’une feuille de papier repliée sur elle-même, un accrochage symétrique. Dans ce parcours en forme de test de Rorschach, l’artiste a installé une dizaine d’œuvres, réalisées dans leur grande majorité ces trois dernières années. Les points de passage entre les « reflets » jouent de la même ambivalence spéculaire. Le premier, Precedence, s’amuse de la spatialisation du son ; le deuxième, Sliding Doors (Portes coulissantes, 2003) est une enfilade de cinq portes-miroirs ; le troisième, [mac] Corridor, un couloir en forme de coude qui conduit d’un bord à l’autre, à condition de se plonger dans le noir absolu. Enfin, les Rayures de Zollner (Zollner Stripes, 2001), motif connu d’illusion optique basé sur des droites parallèles hachurées, couvrent les murs de la dernière travée verticale. Seul ou dans ses collaborations avec Rosemarie Trockel, Carsten Höller avait marqué les années 1990 par ses travaux recourant aux thèmes de l’enfance et des animaux. Aujourd’hui, c’est davantage sur les pentes d’une perception glissante qu’il place le spectateur par le biais de dispositifs visuels et physiques.
Avec les Caissons psychologiques (Psycho Tank), Höller ne sert rien de moins qu’une séance de flottaison sensorielle dans une salle du musée devenue plus clinique qu’un white cube. Une fois dévêtu et passé par la douche, le visiteur est invité à se prélasser dans un caisson d’eau fortement salée, où tout sentiment de gravité est annulé. Prégnant, le cursus scientifique de Carsten Höller (ses études d’agronomie l’ont conduit vers un doctorat en phytopathologie et en entomologie animale) se mâtine toujours d’une phénoménologie enrichie de l’apport des contre-cultures expérimentales des années 1970. Le psychédélisme et la drogue bien sûr, mais aussi l’art vidéo et le cinéma expérimental. Son Flicker Film (2004) s’inscrit dans un genre initié dans les années 1960 par Tony Conrad et porté à son sommet par Paul Sharits. Plus loin, pour Infrared Room (Salle infrarouge, 2002), Carsten Höller induit, par un circuit vidéo, un léger décalage temporel entre l’enregistrement des mouvements du public et leurs restitutions, revisitant – aidé de l’infrarouge et du numérique – les disjonctions spatio-temporelles d’un Dan Graham. Pourtant, le sentiment de lassitude ne provient pas tant de ces variations sur des thèmes connus – celles-ci sont trop bien jouées – que de la systématisation à l’échelle d’une exposition de l’œuvre d’art comme attraction interactive et spectaculaire, fût-elle réflexive et réfléchie.

CARSTEN HÖLLER : UNE EXPOSITION À MARSEILLE

Jusqu’au 17 octobre, Musée d’art contemporain (MAC), 69, avenue d’Haïfa, 13008 Marseille, tél. 04 91 25 01 07, tlj sauf lundi, 11h-18h, (10h-17h en octobre). Catalogue à paraître.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°198 du 10 septembre 2004, avec le titre suivant : Double feature

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