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Echapper à la perpétuité

Par Jean-Marie Schmitt · Le Journal des Arts

Le 24 septembre 2004 - 750 mots

Inventaire des délais d’action auxquels
sont exposés les experts en art.

On raconte que les familles de certains experts ont refusé leur succession de crainte de se voir exposées longtemps après à des actions en responsabilité aussi coûteuses qu’imprévisibles.
Dans le courrier adressé récemment au garde des Sceaux, le président de la Compagnie nationale des experts (CNE) dresse l’inventaire des délais d’action auxquels seraient exposés les experts en art. Inquiétante revue de détail, qui explique une demande d’alignement à dix ans à compter de la certification (certificat, descriptif ou catalogue de vente) donnée par l’expert. Le courrier de Jean-Gabriel Peyre liste les cas de figure résultant des diverses dispositions du code civil en matière de prescription, rappelées ci-dessous :
– Art. 2262 : Prescription trentenaire. C’est le droit commun de la prescription civile en France. Le code civil précise que « toutes les actions, tant réelles que personnelles, sont prescrites par trente ans… ».
C’est à cette prescription que faisaient référence les commissaires-priseurs lorsqu’ils disaient garantir les acquéreurs pendant trente ans. Ce délai couvre les actions en responsabilité contractuelle, c’est-à-dire l’exécution des contrats, ainsi celui qui lie l’expert à la personne (marchand, commissaire-priseur, particulier…) pour laquelle il exécute une mission d’expertise. Il couvre également (sous les réserves précisées ci-dessous) les actions en responsabilité civile extra-contractuelle, résultant de la faute occasionnant un dommage, même en l’absence de relation contractuelle. C’est le cas de l’action intentée contre un expert pour un certificat qu’il aurait établi sans relation directe avec une transaction.
– Art. 2270-1 : Pour cantonner les délais des actions en responsabilité civile extra-contractuelle, cette disposition du code civil, adoptée en 1985, stipule que ces actions « se prescrivent par dix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation ». La prescription devient ainsi « glissante » puisqu’elle dépend d’un événement qui peut survenir très longtemps après les faits. Par exemple, si des transactions qui avaient pris en compte la certification d’un expert étaient remises en cause vingt-cinq ans après, le délai d’action pourrait se trouver porter à trente-cinq ans.
Dans son courrier, Jean-Gabriel Peyre souligne que, dans de telles circonstances, la prescription trentenaire pourrait même être remise en cause ; en ce sens, il cite un arrêt du 15 novembre 2001 de la 2e chambre civile de la Cour de cassation qui avait accepté une action contre l’auteur d’un accident, action fondée sur une aggravation du préjudice apparue après l’expiration du délai de trente ans. Il en concluait que, « si le principe posé par cette décision devait faire jurisprudence en matière d’œuvre d’art, il en résulterait que l’action en responsabilité extra-contractuelle de l’expert deviendrait à peu près imprescriptible, puisqu’elle pourrait être introduite plus de trente ans après la délivrance du certificat ».
Rappelons que la loi de réforme sur les ventes publiques a fixé une prescription spéciale de dix ans, courant à partir de l’adjudication ou de la prisée pour les actions en responsabilité civile, susceptibles d’être engagées sur les ventes aux enchères publiques volontaires ou judiciaires (art. 30 al. 3 de la loi du 10 juillet 2000, repris en L 321-17 du code de commerce). Cette prescription écourtée valait pour les experts agréés par le Conseil des ventes volontaires.
La loi du 11 février 2004, première réforme de la réforme, en modifiant l’article L 321-17 du code de commerce, a aligné la situation des experts agréés par le Conseil des ventes sur celle des autres, en affirmant leur responsabilité solidaire avec les organisateurs des ventes (art. L 321-3). Toutefois, cette limite ne vaut que pour les ventes aux enchères publiques, et sans doute, bien que le texte ne soit pas très explicite, pour les descriptifs et certificats établis à l’occasion de ces ventes. Elle ne concerne pas les autres opérations et certifications des experts. Or, si on examine l’évolution de la jurisprudence dans les dernières années, on peut constater que les tribunaux relèvent et sanctionnent avec plus de rigueur les manquements des experts. Les juges vont parfois jusqu’à mettre à leur charge la totalité des conséquences des litiges. Il les déclare ainsi solidaires du vendeur en cas d’annulation de ventes, ou met à leur charge les manques à gagner consécutifs aux transactions ultérieures, remises en cause par les contestations de l’authenticité d’œuvres acquises puis revendues sur la foi de leur certificat.
En réduisant les délais d’action pour les seules ventes aux enchères, la réforme de 2000 a ouvert la porte à ce qui peut apparaître comme une inégalité de traitement. Reste à en sortir.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°199 du 24 septembre 2004, avec le titre suivant : Echapper à la perpétuité

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