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Flick : une collection controversée

Par Lucian Harris · Le Journal des Arts

Le 24 septembre 2004 - 1062 mots

BERLIN / ALLEMAGNE

Les œuvres d’art contemporain appartenant à Mick Flick sont présentées depuis le 22 septembre à Berlin. L’origine de la fortune du collectionneur, l’industrie d’armement du IIIe Reich, crée une polémique.

Berlin - Une vive controverse s’est élevée à Berlin à propos d’une exposition de la collection de Friedrich-Christian Flick (surnommé Mick Flick) qui a débuté le 22 septembre au Hamburger Bahnhof Museum für Gegenwart (lire le JdA n° 164, 7 février 2003).

Vivant en Suisse, le millionnaire allemand héritier de Mercedes-Benz se bat depuis des années pour que distinction soit faite entre sa passion de collectionneur et son désir d’exposer les œuvres qu’il possède d’une part, le passé de son grand-père, Friedrich Flick, grand pourvoyeur d’armes sous le régime nazi d’autre part (lire l’encadré).

Par un contrat signé avec Mick Flick en janvier 2003, la ville de Berlin a accepté d’exposer, pendant sept ans et par segments, un prêt d’environ 2 500 œuvres de sa collection. Mick Flick continue de collectionner des pièces, qui sont régulièrement mises à la disposition du musée.

Afin d’abriter les œuvres exposées, il a accepté de verser 7,5 millions d’euros pour la rénovation de la Rieck-Halle, entrepôt détenu par la Deutsche Bahn [la SNCF allemande] qui l’a loué à la ville à un « tarif culturel ». Une passerelle conçue spécialement fera communiquer cet espace avec le Hamburger Bahnhof Museum, qui est actuellement entièrement dévolu à la première exposition de 400 pièces de la collection Flick.

« Esprit politique »
Au prix d’une controverse inévitable, l’arrivée de cette collection était pour Berlin l’occasion de disposer enfin du prestigieux ensemble d’art contemporain qui lui manquait pour rivaliser avec les autres grandes capitales européennes, mais aussi d’engranger à peu de frais de substantiels revenus touristiques. Les protestations ont été rares au début et les sondages montraient les Berlinois très majoritairement favorables à l’opération. Pourtant, à l’approche de l’inauguration, des lettres ouvertes publiées dans la presse allemande ont enflammé les esprits et compromis l’avenir de l’exposition.

La principale opposition est venue du Conseil central des juifs d’Allemagne. En mai, son vice-président Salomon Korn décrivait l’exposition comme « un blanchiment moral d’argent souillé de sang (Blutgelt) », la comparant à la « collection Goering », allusion sarcastique au pillage des trésors culturels européens organisé par le dirigeant nazi.

Michael Fürst, membre de ce même Conseil, accusant Berlin de sacrifier ses valeurs morales à des bénéfices commerciaux, demanda un moratoire. Motivant son rejet de la demande, Monika Griefahn, présidente de la commission culturelle du Bundestag allemand, répliqua qu’un « débat public très vif avait déjà eu lieu » lors de la première annonce du projet en 2003.

Michael Fürst réclama aussi que l’on destitue le commissaire de l’exposition Eugen Blum qui s’était exprimé sur la distinction à faire entre la collection et « des épisodes de l’Histoire », ce qui fut interprété comme une façon de minorer l’Holocauste. En réponse à Salomon Korn, Mick Flick souligna qu’il ne pouvait être tenu pour responsable des crimes de son grand-père, refusa violemment le terme de Blutgelt, et rejeta la demande que l’exposition comprenne un rappel de l’histoire de sa famille,  ce qui ne serait selon lui ni juste ni approprié dans ce contexte.

Mick Flick a reçu le soutien de personnalités influentes. Le directeur du Musée juif de Berlin, Michael Blumenthal, a déclaré au Spiegel : « J’ai peu d’estime pour les gens qui tiennent les petits-enfants de nazis et ceux qui travaillent avec eux pour responsables de ce qu’ont fait leurs grands-parents. »

L’un des appuis les plus solides est venu du célèbre collectionneur et marchand d’origine juive, le nonagénaire Heinz Berggruen, voix unanimement respectée dans les milieux culturels allemands, qui a rappelé que la notion de « Sippenschaft » (culpabilité familiale), utilisée par les nazis, devait être aujourd’hui bannie.

Mick Flick a commencé sa collection en 1975, principalement pour décorer ses propriétés. Ses goûts l’ont d’abord porté vers les maîtres anciens, mais, depuis le début des années 1980, il a consacré plus de 50 millions de dollars (env. 40 millions d’euros) à réunir une des plus impressionnantes collections privées d’art contemporain existant à ce jour. Celle-ci est conservée à Zurich, et comprend une majorité de pièces acquises dans cette ville auprès de la galerie Hauser & Wirth. Elle s’étend des pionniers de l’art moderne comme Marcel Duchamp, Kurt Schwitters ou Piet Mondrian jusqu’à des artistes contemporains tels Paul McCarthy, Andreas Gursky ou Martin Kippenberger. Elle est particulièrement riche dans le domaine de l’art minimal des années 1970, l’Arte povera, du Land art et de l’art conceptuel. Mick Flick a mis en avant son « esprit politique », dont le reflet se lit à travers des choix d’artistes comme Bruce Nauman. Soulignant le caractère intuitif de ses achats, il a laissé entendre que la thématique récurrente liée à la condition humaine comme à celle de l’homme dans la société pouvaient avoir un rapport avec l’histoire de la famille Flick. Ses prêts considérables pour des manifestations américaines, ainsi la rétrospective Gerhard Richter au MoMA de New York en 2001 ou celle de Bruce Nauman en 2002 au Dia Center for the Arts, à Beacon, n’avaient donné lieu à aucun commentaire. Néanmoins, lorsque Mick Flick a essayé en 2001 de créer pour sa collection un musée à Zurich, dans un bâtiment conçu par Rem Koolhaas, l’émotion suscitée en Suisse l’a contraint à y renoncer. La collection fut également refusée par les villes de Strasbourg et de Dresde, et l’exposition prévue à la Haus der Kunst de Munich a été annulée à la demande même de Mick Flick, estimant que la controverse « nuirait plus qu’elle ne bénéficierait aux artistes et à l’art ».

La richesse de la famille Flick n’a cessé de faire débat depuis que le grand-père a reconstitué sa fortune après sa sortie de prison. La famille a résisté jusqu’à aujourd’hui aux pressions visant à la faire contribuer aux fonds de dédommagement des victimes du travail forcé, soulignant que ce fonds concernait les entreprises allemandes davantage que les particuliers. En revanche, Mick Flick a investi en 2001 5 millions d’euros dans la Fondation F. C. Flick qui défend des valeurs de tolérance en luttant contre la xénophobie et le racisme.

FRIEDRICH-CHRISTIAN FLICK COLLECTION IM HAMBURGER BAHNHOF

Jusqu’au 23 janvier 2005, Hamburger Bahnhof Museum für Gegenwart, Invalidenstraße 50-51, Berlin-Tiergarten, tél. 49 303 978 3412, tlj sauf lundi 10h-18h, 11h-22h le samedi, 11h-18h le dimanche.

Une richesse colossale

Friedrich Flick (1883-1972) était le principal fournisseur d’armements d’Hitler sous le IIIe Reich et ses usines fonctionnaient avec une main d’œuvre fournie, en majorité, par le régime. 40 000 prisonniers auraient travaillé pour l’armurier, ce pour quoi il a été condamné par le tribunal de Nuremberg à sept ans de prison. À sa mort, en 1972, il passait pour l’homme le plus riche d’Allemagne. Son petit-fils, Friedrich-Christian (Mick) Flick, a hérité d’une partie de cette fortune, mais la plus grande est revenu à son fils, Friedrich-Karl Junior (oncle de Mick), 70e au classement Forbes des personnalités les plus riches du monde, avec un patrimoine estimé à 5,8 milliards de dollars (4,7 milliards d’euros).

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°199 du 24 septembre 2004, avec le titre suivant : Flick : une collection controversée

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