Polémique

Le mystère du sabre de Marengo

Par Armelle Malvoisin · Le Journal des Arts

Le 4 octobre 2007 - 723 mots

Une lettre de Joséphine jette un doute sur le destin du sabre porté par Napoléon à la bataille de Marengo.

 PARIS - Adjugé pour la somme colossale de 4,8 millions d’euros (frais inclus) lors de la vente Empire du 10 juin orchestrée à Fontainebleau par le commissaire-priseur Jean-Pierre Osenat, le sabre de Jérôme Bonaparte, présenté comme celui porté par Bonaparte 1er Consul à la bataille de Marengo (1), est-il le vrai sabre de Marengo ? Mis aux enchères publiques par les descendants de Jérôme, il a été acheté dans la salle de ventes par l’épouse de l’un des vendeurs, Viviane Jutheau de Witt, résidant à Genève. Que l’objet n’ait pas changé de main est une fierté pour la famille. Dessinée par Nicolas Noël Boutet, cette arme de la Manufacture de Versailles n’était pas estimée plus de 1,5 million d’euros par les experts, car, classée monument historique depuis 1978, elle ne peut quitter le territoire français.

« Consacré par  une grande victoire »
Une rumeur avait couru avant la vente qui mettait en doute la provenance napoléonienne du sabre (lire le JdA no 262, 22 juin 2007, p. 36). Une lettre datée du 25 février 1806, rédigée par Joséphine à l’attention de son fils Eugène, publiée en 1996 dans un ouvrage (2), n’a, étrangement, pas été portée à la connaissance du public au moment de la vente. Joséphine y confie pourtant que le sabre de Marengo a été donné à Eugène : « Sois bien sûr, mon cher Eugène, que je ne cesse de m’occuper de toi ; tu en trouveras la preuve dans le précieux envoi que je charge La Valette de te faire parvenir : c’est le sabre que portait l’Empereur à la bataille de Marengo ; il est consacré par une grande victoire, et je désire qu’en servant ton courage il paraisse un jour n’avoir pas changé de main. L’Empereur a mis dans ce présent une grâce charmante. Comme ce sabre est très beau, j’en cherchais un plus modeste, mais l’Empereur a bien voulu me dire qu’il n’y avait rien de trop beau pour son fils. Je suis sûre, du moins, qu’il n’y a pas de trésor au monde qui pût flatter ton cœur autant que celui-là, car c’est le don de la Gloire et de l’Amitié. »
« Cette lettre existe bien, affirme Bernard Chevallier, conservateur du Musée national du château de Malmaison et coauteur du recueil de lettres. J’ai vu l’original qui est conservé dans une collection privée française. » Or, si le sabre de Marengo a été donné à Eugène, l’histoire du cadeau de Napoléon à Jérôme ne tient pas. Le commissaire-priseur a-t-il eu connaissance de ce document avant la vente ? Il n’a pas souhaité répondre à nos questions. Les deux experts du sabre, Bernard Croissy et Jean-Claude Dey, ne croient pas à la véracité de l’annonce de Joséphine. « Il existe un sabre commémorant la première campagne d’Italie, commandé par Napoléon en 1805, et qui fait aujourd’hui partie des collections d’Eugène du Musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg. Y sont gravées sur la lame les batailles de Lodi, Castiglione, Arcole, Rivoli et du passage de Tagliamento. Le graveur, par erreur, a aussi inscrit Marengo. C’est celui-là dont parle Joséphine », soutient Bernard Croissy. Exposé à Paris en 2003 (3), ce sabre est pourtant daté « vers 1809 », il ne peut donc être celui auquel se réfère Joséphine dans sa lettre de 1806. Mais quel est le véritable sabre de Marengo ?
Les archives de Boutet ayant définitivement disparu, l’expertise des deux spécialistes reposait essentiellement sur la tradition familiale qui consiste à dire que Napoléon a offert le sabre de Marengo à Jérôme. Or, on ne trouve pas de trace de témoignage en ce sens avant 1830, et à cette date l’Empereur est mort. Un portrait officiel exécuté vers 1810 par François Joseph Kinson, conservé dans les collections du château de Versailles et de Trianon, représentant Jérôme Bonaparte, roi de Westphalie, aux côtés de son épouse Catherine de Württemberg, en tenue d’officier général de la Garde et tenant à la main le sabre vendu à Fontainebleau, n’apporte pas davantage de preuve concernant un supposé présent de Napoléon à son frère. Les historiens de l’Empire ont encore du pain sur la planche...

(1) 14 juin 1800.
(2) Impératrice Joséphine : Correspondance 1782-1814, Bernard Chevallier, Maurice Catinat et Christophe Pincemaille, éd. Histoire Payot, Paris, 1996.
(3) dans le cadre de « Paris-Saint-Pétersbourg 1800-1830. Quand la Russie parlait français… », Musée de l’armée, Paris, du 21 mai au 31 août 2003.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°265 du 21 septembre 2007, avec le titre suivant : Le mystère du sabre de Marengo

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