Les succès de la peinture française

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 4 octobre 2007 - 934 mots

Portés par de grandes expositions en musées, les tableaux du XVIIe siècle
commencent à sortir de la confidentialité en séduisant les regards les plus modernes.

Reconstitution de l’exposition des « Peintres de la Réalité » à l’Orangerie en 2006, Philippe de Champaigne au Palais des beaux-arts de Lille cet été, Jacques Stella au Musée des beaux-arts de Lyon en février… L’actualité a fait la part belle à la peinture française du XVIIe siècle. Le marché, lui, n’a pas bénéficié d’une offre aussi pléthorique, du fait de l’extrême rareté des chefs-d’œuvre en mains privées. Une rareté qui explique d’autant mieux les grandes manœuvres du Musée des beaux-arts de Lyon et du Musée du Louvre pour acheter via un consortium d’entreprises La Fuite en Égypte de Nicolas Poussin (lire p. 8). Déjà en 1999, le cabinet Turquin avait vendu au Louvre pour 45 millions de francs une Sainte Françoise Romaine par Poussin.

Austérite et sobriété
De la Seconde École de Fontainebleau à Charles Le Brun en passant par Simon Vouet et Nicolas Poussin, le XVIIe siècle se partage entre l’influence du baroque italien et un ordre classique, teinté parfois de sévérité. « La peinture d’époque Louis XIV, sauf exception, ennuie les gens par un côté mollasson, grandiloquent, observe le marchand Eric Coatalem, organisateur en 2005 d’une exposition sur la peinture du XVIIe. Celle d’époque Louis XIII a une sobriété, une dimension minimale, austère, qui plaît aujourd’hui. Elle ne touche plus seulement une élite confidentielle. » Cette peinture signifiante profite aussi d’une certaine lassitude pour les marivaudages froufroutants du XVIIIe siècle. Les amateurs d’art ancien troquent volontiers une énième nymphette de Boucher pour l’intimité d’un portrait de Philippe de Champaigne, aussi sévère soit-il. Qui dit évolution des goûts, suppose aussi progression des prix, lesquels ont décuplé en dix ans pour certains artistes. « À une époque, je vendais un tableau de Jacques Stella pour 250 000 francs. Récemment, une toile de cet artiste s’est vendue pour 179 000 euros dans une petite vente à Uppsala [Suède] », confie Eric Coatalem.
Néanmoins, à l’inverse du siècle des Lumières, celui du jansénisme ne peut pas alimenter le marché en flux continu. « Les artistes du XVIIe ont moins produit pour une clientèle privée. Philippe de Champaigne a ainsi réalisé beaucoup de commandes religieuses pour les églises ou les congrégations, rappelle Laure Desmaret, de la galerie Didier Aaron & Cie. Mais les peintures n’ont pas bougé des églises et celles qui se trouvaient dans les congrégations ont gagné directement les musées sans un passage par le marché. » Aussi la présence en mars dernier à la Foire Tefaf Maastricht de deux portraits d’homme par Philippe de Champaigne chez les New-Yorkais Wildenstein (570 000 euros) et Jack Kilgore (440 000 euros) relevait-elle du tour de force. Par un autre concours de circonstance, les visiteurs de Maastricht avaient aussi accès à trois œuvres de Simon Vouet, figure totémique du XVIIe siècle synthétisant le baroque italien et l’atticisme français. Il fallait compter un million d’euros pour emporter une Vierge chez Eric Coatalem tandis que le Londonien Richard Green affichait une Sainte Catherine d’Alexandrie assez aplatie pour 5 millions de dollars.

Dans la lignée des maîtres
Dans le sillage des maîtres, les élèves tirent aussi leurs marrons du feu. Toujours à Maastricht en mars dernier, Didier Aaron & Cie y présentait pour 350 000 euros une composition très enlevée d’un élève de Vouet, Charles Dauphin. Les suiveurs de Nicolas Poussin font aussi florès. En avril, Christie’s adjugeait pour 324 000 dollars un paysage de Gaspard Dughet, visiblement influencé par son beau-frère, Poussin. « Ce tableau s’est bien vendu car il est représentatif du peintre, indique Cécile Bernard, spécialiste de Christie’s. Tout ce qui est en revanche un peu atypique dans la production des artistes est plus difficile à vendre. » En décembre 2006 chez Sotheby’s, Atalante et Hippoménès d’un petit maître poussinesque, Nicolas Colombel, fut acheté pour la somme corsée de 512 000 livres sterling (758 600 euros) par le marchand new-yorkais Otto Naumann. L’estimation n’était pourtant que de 70 000 livres sterling ! « Depuis que les grands noms sont rares dans les ventes, on se rabat sur les seconds couteaux, souligne Nicolas Joly, spécialiste de Sotheby’s. Les beaux tableaux de noms pourtant pas magiques font dès lors de bons prix. »
L’absence de grandes compositions profite aussi aux natures mortes, bien plus fréquentes sur le marché car mieux conservées. Le 8 juin, Beaussant-Lefèvre adjugeait pour 385 000 euros une Vanité aux livres de l’Alsacien Sébastien Stoskopff. Qui a dit que la nature morte était un genre mineur ?

La nature morte au sommet

Dans une saison dominée plutôt par la peinture des XVIIIe et XIXe siècles, cette nature morte aux abricots de Louise Moillon (ill. ci-dessus) a fait sensation avec une adjudication record de 469 966 euros le 22 juin chez Piasa. Contemporaine de Lubin Baugin et Jacques Linard, Louise Moillon compte parmi les rares artistes femmes du XVIIe siècle. Élevée dans un milieu de peintres, elle fut d’abord formée par son père Nicolas Moillon, lui-même marchand de tableaux, puis à la mort de ce dernier par son beau-père François Garnier, spécialiste de natures mortes. Son terreau protestant se perçoit dans des compositions très sobres et dépouillées et une exécution assez froide. Sa facture la rapprocherait des peintres flamands comme Osias Beert ou Jacob Van Hulsdonck. On recense d’elle une quarantaine d’œuvres réalisées entre 1629 et 1641, date à laquelle elle se marie avec le marchand de bois Étienne Girardot et cesse dès lors de peindre. Sans être totalement rares sur le marché, ses œuvres prétendent à des tarifs corsés. À la Biennale des Antiquaires de Paris en septembre 2006, la galerie viennoise Sanct Lucas proposait ainsi pour 850 000 euros une nature morte aux pêches. Une somme qui n’a guère effarouché les amateurs puisque le panneau a tout de suite trouvé preneur.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°264 du 7 septembre 2007, avec le titre suivant : Les succès de la peinture française

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