Précieuses signatures

Par Armelle Malvoisin · Le Journal des Arts

Le 4 octobre 2007 - 989 mots

Les bijoux ne sont pas seulement affaire de grosses pierres. Les signatures ont aussi une incidence sur leurs cotes. Tandis qu’une éventuelle provenance fait flamber les prix.

Le marché aux enchères des bijoux est un vaste secteur que se partagent plusieurs maisons de ventes internationales, les deux principales étant Sotheby’s et Christie’s. À elles deux, ces sociétés ont vendu plus de 17 000 pièces de joaillerie à travers le monde en 2006, pour un total dépassant les 400 millions d’euros. Les places principales de ce marché sont Genève, New York et Hong Kong. En France, il reste très limité : peu de bijoux d’une valeur supérieure à 10 000 euros sont proposés en salles de ventes. Les principaux opérateurs français sont les SVV Gros-Delettrez et Millon & Associés
(5 et 4,4 millions d’euros en 2006, incluant les ventes de montres) ; les maisons Tajan et Artcurial
(8,8 et 7,8 millions d’euros en 2006, majoritairement à Monaco, et incluant aussi les ventes de montres), ainsi que Pierre Bergé & Associés (PBA) (4,3 millions d’euros en 2006 dont les trois quarts sont réalisés à Genève et Bruxelles). L’arrivée en France, il y a quelques années, de Christie’s (première vacation de bijoux à Paris le 13 décembre 2001) et Sotheby’s (premier coup de marteau parisien pour la joaillerie le 18 décembre 2002) n’a pas boosté ce domaine comme cela a été le cas pour le mobilier français ou l’orfèvrerie européenne. En 2006 à Paris, Christie’s a organisé deux ventes de bijoux pour 6,1 millions d’euros de recettes. Sotheby’s qui a totalisé 2,5 millions d’euros en deux vacations, a décidé cette année de ne plus faire de ventes dans cette spécialité à Paris, au profit des places genevoise et Londonienne. C’est un paradoxe car la place Vendôme reste le haut lieu de la création joaillière, jouissant d’une réputation internationale. « Genève a été privilégiée pour les ventes de bijoux depuis les années 1960, notamment grâce aux ports francs », observe David Bennett, directeur du département bijoux pour l’Europe et le Moyen-Orient chez Sotheby’s. Les bijoux importés vendus en Suisse bénéficient d’une suspension de TVA que seul l’acquéreur résident suisse doit payer au taux de 7,6 %. En France, des droits de douane élevés, une TVA à l’importation de 19,6 % et un contrôle fastidieux par le bureau des métaux précieux sur tous les bijoux vendus sont autant de frein au développement de ce marché, déjà bien implanté en Grande-Bretagne. Car en matière de bijoux, les Anglais ont une bonne longueur d’avance sur l’Hexagone, malgré une TVA à l’importation de 17,5 %. Cela s’explique par le nombre important de bijoux détenus traditionnellement par les grandes familles anglaises et l’arrivée de nouveaux acheteurs russes, indiens et du Moyen-Orient à Londres, corrélativement au boom économique de la City.
Et pourtant, où qu’ils se vendent, les bijoux signés (avec des diamants de qualité) font partie des pièces les plus recherchées. On estime que seul 20 % du marché mondial de la joaillerie (ventes aux enchères commerce) sont signés. Dans les ventes internationales de Sotheby’s et Christie’s, cette proportion varie entre 25 % et 40 %. « La signature est un énorme plus car elle est synonyme de qualité : qualité des pierres, originalité du dessin, grande technicité du sertissage et de la monture », souligne Frédéric Chambre, commissaire-priseur spécialiste des bijoux chez PBA. La plus-value générée par ce « plus » est indéniable. Sans compter une éventuelle provenance, elle est de 10 % jusqu’à quasiment 100 % de valeur supplémentaire par rapport à une pièce anonyme. Les prix flambent pour les modèles rares ou uniques et les bijoux créés à une période spécifique par un joaillier de renom pour l’époque.
Pour l’Art déco, les bijoux les plus prisés sont signés Cartier, Van Cleef & Arpels, Boucheron, Mauboussin, Bulgari ou encore Janesich. Pour la période d’après-guerre, on ajoute Sterle et Harry Winston. Les joailliers contemporains cotés sont nombreux. En Suisse, il faut compter avec Chopard, Enigma, Margaret et Suzanne Syz ainsi que de Grisogono qui a remis les diamants noirs au goût du jour. En Italie, on ne jure que par Michele della Valle. En Inde, Viren Bhagat mêle influences indiennes et occidentales. Carnet, Edmund Chin qui a fondé sa marque Etcetera en 2000 et Wallace Chan sont réputés à Hong Kong tout comme Angela Cummings, Lynn Nakamura, Olivia Wildenstein et Taffin créé en 1997 par James de Givenchy, aux États-Unis. Elizabeth Gage et Andrew Grima sont des valeurs montantes en Grande-Bretagne. Enfin, la France peut s’enorgueillir de deux talentueux créateurs : JAR (lire ci-dessus) et Lorenz Baümer qui a le don d’inventer des bijoux adaptés à la personnalité de ses clientes.

L’effet mésestimé de JAR

Sous l’acronyme JAR, Joël Arthur Rosenthal a créé sa marque à Paris il y a 30 ans. Ses bijoux qui sont fabriqués par une petite équipe d’artisans hautement qualifiés, allient à la qualité des pierres, un certain classicisme avec une pointe d’originalité dans le dessin et un grand sens de la couleur. Le succès est là, mais l’homme produit peu, guère plus de 70 pièces par an. Un cercle privé de clients-amis qu’il choisit doit attendre de quelques mois à plusieurs années pour en acheter. La peur de JAR d’être copié frise la paranoïa. Joël Arthur Rosenthal est un homme discret, ne parlant à personne de son travail, ne faisant aucune publicité de son activité et n’exposant aucune de ses œuvres derrière sa vitrine de verre noir percée d’une meurtrière. D’ailleurs, aucune enseigne n’indique l’emplacement de son magasin place Vendôme. Jusqu’à présent, seule une soixantaine de bijoux JAR est passée en ventes publiques avec à chaque fois des enchères supérieures au prix « boutique ». Aussi, lorsqu’à la suite d’un divorce d’avec le milliardaire Ron Perelman qui l’a couverte de bijoux pendant leurs six années de mariage, l’actrice américaine Ellen Barkin met en vente dix-sept créations signées JAR chez Christie’s à New York le 10 octobre 2006. Les enchères atteignent des prix incroyables à l’exemple de cette paire de bracelets en diamants (ill. ci-contre) pour laquelle un Américain a dépensé plus d’un million de dollars. Alors que les experts l’avaient estimée au maximum 500 000 dollars, en tenant compte de l’effet JAR.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°264 du 7 septembre 2007, avec le titre suivant : Précieuses signatures

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