Archéologie

La perfection de la statuaire khmère

Par Armelle Malvoisin · Le Journal des Arts

Le 4 octobre 2007 - 994 mots

L’art khmer est un des domaines les plus raffinés et les plus recherchés de la sculpture asiatique. Mais peu de pièces passent sur le marché.

L’Art khmer fascine les amateurs de la statuaire asiatique par sa rareté et la perfection formelle de ses pièces. Mais sa diffusion reste limitée. Guère plus de 500 sculptures khmères ont trouvé place dans les musées occidentaux. La première et dernière grande exposition française consacrée à la culture de cette civilisation exceptionnelle, « Angkor et dix siècles d’art khmer », qui a réuni les œuvres majeures des deux collections d’art khmer les plus prestigieuses au monde, celles du Musée national de Phnom Penh, au Cambodge, et celles du Musée Guimet à Paris, s’est tenue au Grand Palais en 1997. Le marché de l’art khmer est encore plus étroit : « Il doit rester moins de 300 pièces importantes en circulation », souligne l’antiquaire français Antoine Barrère. « Un marchand garde rarement un bel objet khmer en stock car il se vend généralement rapidement », ajoute-t-il encore. Les marchands internationaux qui ont fait de l’art khmer l’une de leurs spécialités se compte sur les doigts d’une main. Citons John Eskenazy à Londres et l’Anversois Marcel Nies. Pour la 6e édition de la foire parisienne Parcours des Monde, qui se déroule du 11 au 16 septembre, ce dernier exposera quelques pièces khmères. De son côté, Antoine Barrère présentera en avant-première dans sa galerie du 36 de la rue Mazarine les trois sculptures khmères qu’il a expertisées pour la vente du 26 septembre à Drouot (SVV Binoche) : un torse de Bouddha pré-khmer, une représentation Hari-Hara du début du XIIe siècle et un très beau et complet boddhisattva du XIIe siècle.

Les ventes aux enchères comprenant des pièces khmères sont relativement rares. Il en passe quelques fois à New York dans des vacations consacrées à l’art asiatique. Pendant la semaine de l’art asiatique, rendez-vous bi-annuel dont le prochain aura lieu à New York du 18 au 21 septembre, deux lots seront offertes chez Christie’s le 21 septembre : un bronze de Bouddha en majesté de l’époque angkorienne (Xe siècle) provenant d’une collection privée new-yorkaise, estimé 80 000 à 100 000 dollars (58 000 à 72 000 euros) ; et une représentation de Ganesh en grès de l’époque angkorienne (XIe siècle) issue d’une collection privée anglaise, estimée 60 000 à 80 000 dollars. En France, la collection Georges Halphen, dispersée le 20 novembre 2003 à Paris chez Christie’s, comprenait une petite section d’art khmer. Un rare torse khmer de divinité féminine en grès finement sculpté, vêtue d’un sari à striures verticales ceinturé à la taille avec un pan rabattu, de style Koh Ker, du 2e quart du Xe siècle, estimé 45 000 euros, est monté à 140 250 euros. Et une tête de divinité masculine en grès, de style Koh Ker, du 2e quart du Xe siècle, estimée 45 000 euros, a été adjugée 76 375 euros.

L’attention des collectionneurs se focalise sur des sculptures emblématiques de leur période, et répondant aux critères les plus sévères en terme de provenance. Les belles pièces khmères qui ont toujours été chères, se raréfient. Dans ce contexte, le prix des œuvres de qualité muséale a connu une hausse forte et régulière. Aujourd’hui, une statue se vend entre 70 000 et 150 000 euros, et une tête se négocie de 40 000 à 120 000 euros, selon la taille et l’état de la pièce. Les amateurs préfèreront un torse féminin à celui d’un homme, à qualité et époque équivalentes. Quant aux têtes khmères, les collectionneurs les choisissent en priorité de grande taille et avec des traits apaisés. Comme tout art de grande valeur, la sculpture khmère est confrontée au problème des faux. « 80% de l’art khmer est sujet à caution car l’on croise sur le marché un certain nombre de pièces contemporaines, fabriquées dans les années 1960 pour satisfaire une demande florissante. Mais dans la plupart des cas, il s’agit de faux détectables. On y décèle notamment un mélange impossible de deux styles, des maladresses dans le modelé des visages ou encore des attributs donnés à des divinités non correspondantes. L’authentification se fait également par le matériau, soit l’utilisation de certains grès selon les époques, explique Antoine Barrère. De toute façon, les pièces qui mettent tout le monde d’accord sont depuis longtemps connues des spécialistes. »
Dernier point : l’aspect réglementaire du commerce de l’art khmer. Il est bon de rappeler qu’aucun objet khmer n’est plus autorisé à sortir du Cambodge et de Thaïlande depuis 1972, année de l’adoption de la Convention de l’Unesco sur la protection du patrimoine culturel et naturel mondial. Les pillages du site d’Angkor dont chaque pierre a été répertoriée, sont signalés, notamment via The Art Loss Register. Et les objets khmers sans provenance sont très difficiles à vendre.

Bodhisattva de la compassion

Le bodhisattva Avalokitésvara (ill. ci-contre), appelé aussi bodhisattva de la compassion, est la divinité la plus populaire du bouddhisme de Mahayana, religion dominante du peuple khmer sous le règne de Jayavarman VII (1181-1218). La divinité est représentée sur un socle carré, tenant dans chacune de ses quatre mains un attribut spécifique : à droite, le bouton de lotus et le rosaire ; à gauche, le manuscrit et le vase d’ambroisie. Le Bouddha Amitabha, représenté sur son chignon, identifie Avalokitésvara. La divinité porte un sampot court au bord perlé, ciselé verticalement et une large ceinture décorée de médaillons carrés, retombant en ancre drapée. Le visage serein exprime la spiritualité liée à la période du Bayon et au caractère profondément religieux de Jayavarman VII. Les lèvres épaisses, la ligne carrée de la mâchoire, les sourcils plats et le front lisse reprennent les traits du souverain et sont typiques de l’art pratiqué sous son règne, soit un des rares moments dans l’art statuaire khmer où l’on sort d’un idéalisme. La douceur de son expression offre un contraste avec les jambes robustes, les genoux larges et l’habillement masculin. Des sculptures similaires sont conservées au Musée Guimet à Paris et au Musée national de Phnom Penh. Cette rarissime icône complète de la statuaire khmère, classique de son époque, sera vendue le 26 septembre à Drouot par Jean-Claude Binoche, sur une estimation de 250 000 à 300 000 euros.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°264 du 7 septembre 2007, avec le titre suivant : La perfection de la statuaire khmère

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