Egypte : l’attrait du décoratif

Par Armelle Malvoisin · Le Journal des Arts

Le 4 octobre 2007 - 894 mots

Quelque soit l’époque, cet aspect de l’art égyptien prime pour les collectionneurs sur leur intérêt historique ou archéologique. Des pièces inédites sortent au compte-gouttes des collections privées.

L’art égyptien tient une place particulière dans l’archéologie méditerranéenne. Depuis Auguste Mariette, Jean-François Champollion et les voyageurs du XIXe siècle, la France a tissé des rapports culturels étroits avec l’Égypte. Le virus de l’égyptologie, jusqu’à l’égyptomanie, s’est largement répandu dans l’Hexagone. Nombre de collections françaises possèdent des souvenirs archéologiques de l’antique Égypte ramenés d’anciennes expéditions, lesquels apparaissent sur le marché au compte-gouttes, au fil des ventes aux enchères parisiennes, réservant parfois de bonnes surprises. « L’inflation des prix s’est accélérée pour des pièces de qualité musée, comme on a pu le constater dans les grandes ventes internationales mais aussi à Drouot », note Didier Wormser, de la galerie l’Étoile d’Ishtar, l’un des rares marchands parisiens d’antiquités classiques, avec Jean-Pierre Montesino de la galerie Cybèle. Le pedigree augmente aussi considérablement la valeur d’un objet, dans des proportions parfois inouïes. Ainsi, le 7 juin 2007 à New York chez Sotheby’s, une vente d’antiquités estimée plus de 10 millions de dollars (7,3 millions d’euros) a totalisé le record de 47,2 millions de dollars. Une vingtaine de lots du Musée Albright-Knox Art Gallery à Buffalo (New York) ont fait exploser les enchères. La vedette de la vacation, un exceptionnel et rarissime bronze gréco-romain, a été adjugée 28,6 millions de dollars, mais  les pièces égyptiennes ont aussi réalisé de bons résultats. Un superbe fragment en calcaire de 34,8 x 40 cm, de la fin de la XIe-début de la XIIe dynastie (1957-1875 av. J.-C.), estimé 150 000 à 250 000 dollars, s’est envolé à 964 000 dollars. Il était sculpté d’une tête de pharaon en relief, peut-être Montouhotep III. Un torse en granit du vizir Montouhotep, du début de la XIIe dynastie (1918-1875 av. J.C.), estimé 150 000 à 250 000 dollars, est monté à 936 000 dollars. Cet important buste issu d’une statue à taille réelle de Montouhotep assis dans la position d’un scribe porte des inscriptions : « Montouhotep, serviteur des deux enfants d’Horus… ». Signalons encore une belle tête d’homme jeune de 19 cm, souriant légèrement, en granit rouge, de la XXXe dynastie (380-342 av. J.-C.), estimée 100 000 à 150 000 euros, vendue 600 000 dollars. Outre son prestigieux pedigree, il était du plus bel effet décoratif. Le marché est très demandeur en pièces décoratives. Cette caractéristique, pourvu que l’objet soit authentique, prime sur l’intérêt historique ou archéologique. « Aujourd’hui, les collectionneurs d’archéologie recherchent des pièces spectaculaires, de grande taille, tel l’ibis en bronze et bois stuqué de 34 cm de la collection Vérité, figé dans l’attitude de la marche, avec des pattes finement gravées d’écailles. J’avais estimé prudemment 12 000 euros cette œuvre d’époque ptolémaïque (333-30 av. J.-C.) qui a finalement été emportée 188 370 euros, le 10 mars dernier à Drouot, rapporte l’expert parisien Christophe Kunicki. Le marché considère qu’il n’y a pas d’époque secondaire pour l’Égypte. On obtient des prix importants pour des œuvres de grandes qualités plastiques, même tardives dont le style archaïsant reprend les grands canons plus anciens de l’art égyptien.» Ce ne sont pas les exemples qui manquent. Le 29 juin à Drouot, une tête masculine imberbe en serpentine verte, de 11 cm, portant la perruque « bourse », de la XXVIe dynastie, période saïte (vers 550 av. J.-C.), estimée 12 000 euros, a été adjugée 60 170 euros sous le marteau de Thierry de Maigret. Sculptée dans un beau matériau, la tête présentait des traits du visage particulièrement fins, une colonne dorsale inscrite de hiéroglyphes indiquant le nom du dédicant et une provenance irréprochable.
Les marchands d’antiquités sélectionnent aussi les pièces qu’ils exposent dans les foires et salons internationaux en fonction de ce critère esthétique, doublé d’un rassurant pedigree. L’un des plus réputés, la galerie Phoenix Ancient Art de Genève, présentera plusieurs pièces égyptiennes au Salon du collectionneur du 14 au 23 septembre au Grand Palais à Paris. Parmi elles, une belle plaque en calcaire gravée d’un buste masculin portant l’uraeus, peut-être d’Akhenaton ou de son premier successeur Semenekharê, de la XVIIIe dynastie (2e moitié du XIVe siècle av. J.-C.), provenant de l’ancienne collection Girod-Mallon, sera proposée à 150 000 euros. Enfin, une statuette en bronze de 28,7 cm représentant Osiris, de la XXVIe-XXXe dynastie, Basse Époque (664-342 av. J.-C.), provenant de l’ancienne collection américaine Joseph A. Ropes, sera affichée au prix de 28 000 euros.

Amulette du nouvel an égyptien

Alors que la plupart des amulettes égyptiennes ont été retrouvées intactes dans des tombeaux car faisant partie du classique trousseau funéraire, les amulettes destinées à être portées par les vivants sont d’une rareté insigne. Très peu sont arrivées jusqu’à nous. L’amulette du Flotteur de la Clepsydre (ill. ci-contre) en est un bel exemple. Elle était offerte à l’occasion des cérémonies du nouvel an égyptien, le 18 juillet, date de la crue attendue du Nil. Son iconographie renvoie à la mission du dieu babouin Thot de ramener en Égypte la déesse Sekhmet à tête de lion qui s’est exilée en Nubie, alias « La lointaine », de l’apaiser et d’obtenir sa bienveillante intervention sur la crue du Nil. Outre sa rareté, cette amulette est d’une qualité d’exécution remarquable : les traits du visage simiesque aux détails anatomiques rendus avec grande précision, le dessin de la corbeille, à la fois socle de l’offrande et symbole du flotteur de la clepsydre, jusqu’à la glaçure vert-turquoise brillante d’une qualité étonnante. Seules trois amulettes de ce type sont répertoriées : au Musée du Louvre, au Brooklyn Museum à New York et dans la collection privée Jean-Louis Domercq. Celle-ci dont le pedigree (collection Bella Hein) ajoute encore à son intérêt, s’est envolée à 156 000 euros, dix fois son estimation, à Drouot le 6 juin.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°264 du 7 septembre 2007, avec le titre suivant : Egypte : l’attrait du décoratif

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