Ghislain Mollet-Viéville

Agent d’art

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 4 octobre 2007 - 1423 mots

Chantre de l’art minimal et conceptuel, «”¯l’agent d’art”¯» Ghislain Mollet-Viéville
défend la nouvelle génération post-conceptuelle. Portrait d’un dandy post-moderne.

« Je suis sage, tranquille, sans histoire », assure Ghislain Mollet-Viéville. On croirait volontiers ce gentleman portant beau, clean et courtois. Sauf que cet homme à poil lisse a bel et bien une histoire, et sans doute des tiroirs secrets. Dans le sillage des salons de Madame Récamier ou des Mardis de Mallarmé, il a inauguré de 1975 à 1992 un nouveau style de cénacle dans son appartement parisien, en diffusant un art conceptuel et minimal alors confidentiel. Aujourd’hui, il aurait pu n’être qu’un vieux guérillero, profitant de son titre d’expert près la cour d’appel de Paris. Du pèlerin d’une vérité passée, Mollet-Viéville a gardé quelques formules récurrentes, comme celle du « collectionneur-légume ». Sans agressivité ni amertume, il a choisi de rester dans le débat. Même si celui-ci se situe à la marge de la marge. Paradoxalement, cet art immatériel qu’il défend ne peut porter un grand désir de reconnaissance, patent avec son site Internet aussi informatif que narcissique (1).

Appartement prototype
On peut imaginer que pour l’étudiant malheureux de Sup de Co Lille, fils de grands bourgeois juristes de génération en génération, l’art fut une libération. Bobo avant l’heure, Mollet-Viéville appréciera d’abord Buffet et Saura, avant de découvrir l’art conceptuel et minimal via les galeristes Yvon Lambert et Daniel Templon. Il achète alors un dessin de Sol LeWitt, un cercle d’Olivier Mosset, une définition de Kosuth, mais aussi Dezeuze et Viallat. Après un crochet par le 6e arrondissement de Paris, il s’installe en 1975 au 26, rue Beaubourg. « Je ne vois pas l’art déconnecté de son contexte social-idéologique, architectural, explique-t-il. J’ai constitué ma collection en fonction de mon appartement. » Un appartement d’une perfection froide qui accueillera une population bigarrée d’amateurs, d’artistes comme André Cadere et de noctambules du Palace. Un reportage photos du magazine Marie-Claire dans l’appartement est même titré en 1981 Glamorous Grey ! « Ghislain avait un appartement idéal qu’il ne fallait pas trop bouger, observe l’artiste Lefèvre Jean-Claude. Il fallait que ça reste propre. L’art conceptuel correspondait à ce qu’il pouvait admettre dans son univers, des transformations minimales. » Un art de « bon goût », presque bon chic bon genre ? Il aurait ainsi renâclé devant une Définition méthode de Claude Rutault baptisée La Peinture c’est pas de la tarte. L’artiste Dominique Pasqualini parle aussi de ses réticences lorsque le collectif IFP a vidé en 1979 son appartement dans le cadre d’une action. Un prélude pourtant au vacuum de son habitat actuel dans le 12e arrondissement. L’intéressé a depuis poussé le bouchon en créant pour Ikhéa©Services le « Service » n°21, exhortant les collectionneurs à faire le vide. Quoi qu’il en soit, son appartement de la rue Beaubourg est devenu tellement emblématique d’une époque, voire d’une posture, qu’il fut reconstitué en 1994 au Musée d’art moderne et contemporain (Mamco) de Genève avec sa bénédiction et sous sa surveillance. « Il a eu des interdits, mais peu nombreux comparé à ce qu’il m’a laissé faire, indique Christian Bernard, directeur du musée. Il est plus souple que l’impression qu’il donne. » Cette reconstitution n’est toutefois pas du goût de tout le monde. « Cet endroit, sensé être le lieu de la dématérialisation de l’art, est devenu le prototype de Wallpaper », regrette ainsi la critique d’art Elisabeth Lebovici.
À mi-chemin entre collectionneur et marchand, le rôle « d’agent d’art » de Mollet-Viéville reste flou. « L’agent s’intéresse plus aux réseaux de l’art qu’aux objets d’art, explique-t-il. À ne pas confondre avec agent d’artiste qui est là avec des artistes définis pour lesquels il trouve des collectionneurs. » Ce statut implique donc un retrait, voire un engagement a minima. « Il n’a jamais eu prétention de monopoliser un travail. Il a permis aux gens de faire des choses, mais il ne s’est pas engagé sur le plan financier, explique Claude Rutault. Il est resté dans une certaine distance avec les artistes, ce qui vous contraint à avoir une attitude distante vis-à-vis de lui. » Pour l’artiste Jean-Baptiste Farkas, « Ghislain détesterait un engagement qui le ferait suer. Il ne veut pas se mettre au travail, mais aborder les choses qui lui plaisent avec un rapport de jouissance et de légèreté. » L’intéressé a d’ailleurs traversé presque sur coussin d’air les querelles de positions. « C’est un modérateur, mais qui sait aussi interrompre une relation », indique l’artiste Ernest T.

Goût de la transmission
La formule de l’agent couvre par extension un autre terme que Mollet-Viéville répugne à utiliser : celui de courtier. Une pudeur qui surprend alors que de 1969 à 1974 il a été partenaire de Christian Tomasini dans la Société Art et Investissement. L’intéressé évoque plus volontiers, avec même un brin de fierté, les photos de mode shootées dans son appartement, lesquelles injecteront de la chair dans son univers et du beurre dans ses épinards. « Je préfère avoir l’image de quelqu’un qui a des œuvres que de quelqu’un qui a l’argent que représentent ces œuvres, précise-t-il. Si je vendais tout, je pourrais m’acheter une maison dans le Midi, mais je préfère vivre plus simplement. » Par une pirouette du destin, Mollet-Viéville a d’ailleurs transmis les clés de son appartement de la rue Beaubourg au galeriste Emmanuel Perrotin, marchand dans l’âme !
Réglo en affaires, comme en atteste la fidélité de nombreux collectionneurs, on ne lui connaît qu’une ombre au tableau avec Philippe Méaille dont il constituera la collection pendant trois ans. Celui-ci lui reproche de lui avoir vendu des pièces d’Art & Language réalisées après coup par Terry Atkinson et d’avoir surpayé d’autres œuvres. « On était conscient Philippe et moi de ne pas avoir de preuve sur l’ancienneté des pièces, mais on s’est dit que c’était intéressant et qu’au pire on aurait une double date. Terry Atkinson a finalement admis que c’était des pièces recomposées récemment », explique Mollet-Viéville. Et de rajouter : « C’est Méaille qui fixait les prix par série de 20 à 25 œuvres. Il chiffrait certains plus que d’autres, mais au total, on arrivait à une somme juste. » L’acte de vendre n’a d’ailleurs jamais été au centre de sa relation avec les collectionneurs. Pour les amateurs Françoise et Jean-Philippe Billarant, « Ghislain ne montrait aucune pression à vendre, était disponible et heureux d’expliquer les œuvres. » Un goût de la transmission perceptible dans son livre clair et didactique sur l’art minimal et conceptuel qu’il a publié en 1995 (2). Mollet-Viéville n’est toutefois pas pris au sérieux par les conservateurs qui le voient plus en vulgarisateur, au mieux en dilettante professionnel, qu’en voix autorisée. « Il a compilé, mais ce n’est pas un théoricien, cela reste ultra-académique. Il n’a pas élaboré ses propres concepts et maintient une certaine orthodoxie », observe un artiste.
Mollet-Viéville a aujourd’hui reformulé sa vie intellectuelle autour d’une nouvelle génération, passant d’Art & Language à la très immatérielle XVe Biennale de Paris. « Il ne met plus en avant les références aux années 1970 car elles sont devenues mainstream, indique Jean-Baptiste Farkas. Il n’y a plus d’enjeu, ça appartient à l’histoire. Il s’intéresse à ce qui n’appartient pas encore à l’histoire et s’implique au moment où les choses se font. » Il a ainsi donné un vrai coup de main au collectif Ultralab pour leur documentaire sur l’affaire des cartons d’invitation piégés. La fonction même de sa demeure a évolué du showroom au forum de discussion. « Je ne pense pas qu’on puisse tous les deux trois mois présenter des événements importants en art. C’est logique, il ne faut pas en avoir honte », confie-t-il. Pour coller finalement au plus près de son adage des années rue Beaubourg : « I have nothing to show, and I’m showing it ».
Bien que d’apparence ascétique, Ghislain Mollet-Viéville reste plus dandy que moine, secret que limpide. Que peut bien receler son côté maniaque de l’archive, cette tendance à l’effacement du corps ? « Derrière la blancheur clinique, il y a forcément quelque chose de noir, de gris, glisse Élisabeth Lebovici. Une riche vie fantasmatique a été canalisée dans cet art cérébral, décharné. » L’exutoire, Christian Bernard en livre un petit pan, en pointant ses agendas surlignés aux feutres fluos. « Le personnage qu’il s’est construit est peut-être fictif, murmure de son côté l’artiste Nicolas Ledoux. Est-ce que Ghislain Mollet-Viéville ne serait pas une fiction, comme les fictions de Philippe Thomas, une fiction dont l’appartement serait le décor ? »

(1) www.conceptual-art.net
(2) Art minimal & conceptuel, Genève, éditions Skira, 1995, 120 p.

Ghislain Mollet-Viéville

1945 Naissance à Boulogne-Billancourt 1975 Ouverture du 26, rue Beaubourg, Paris 1988 Devient expert près la cour d’appel de Paris 1992 Déménagement au 52, rue Crozatier, Paris 1994 Reconstitution au Mamco à Genève de l’appartement de la rue Beaubourg 2001 Nouveau déménagement avenue Ledru-Rollin, Paris 2006 Conseiller de la XVe Biennale de Paris

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°264 du 7 septembre 2007, avec le titre suivant : Ghislain Mollet-Viéville

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