Expertise tolérance zéro

Par Jean-Marie Schmitt · Le Journal des Arts

Le 4 octobre 2007 - 524 mots

La dernière affaire manifeste que la Haute Cour de justice assigne aux experts des obligations de résultats.

La première chambre civile a rejeté le 3 avril les pourvois formés par deux experts, et accessoirement une SCP (Société civile professionnelle) de commissaires-priseurs contre un arrêt de la cour d’appel de Paris de 2004.

C’était une banale affaire d’authenticité, comme beaucoup d’autres après la bulle spéculative de 1989. Elle concernait une gouache certifiée de Raoul Dufy par deux sommités du tableau moderne et adjugée en 1989. En 2001, à l’occasion de l’établissement du catalogue raisonné du peintre, l’œuvre était contestée. D’où un litige d’annulation de ventes pour défaut d’authenticité. Une particularité : le vendeur avait disparu, ce qui posait la question de la réparation du dommage en cas d’annulation. Seconde particularité : l’expert commis par le tribunal, tout en concluant qu’il s’agissait d’un faux, estimait qu’« au regard des connaissances à l’époque de la vente il était tout à fait concevable de conclure à l’authenticité ». Traduction juridique de cette observation : il n’était pas possible d’imputer une négligence ou une imprudence fautive aux experts, non plus d’ailleurs qu’au commissaire-priseur qui avait pris soin de s’entourer de l’avis de deux experts réputés.

Mais sur ce scénario très commun, les choses ont beaucoup évolué depuis une dizaine d’années.
La cour d’appel de Paris a donc retenu la responsabilité de la SCP et des experts en considérant dans un attendu qui est devenu un classique du genre « que, vis-à-vis de la victime de l’erreur, le commissaire-priseur ou l’expert qui affirme l’authenticité d’une œuvre d’art sans assortir son propos de réserves engage sa responsabilité sur cette assertion ». N’ayant pas vu le temps passer, les experts ont tenté dans leur pourvoi de réfuter l’argument en exposant que la responsabilité de celui qui « atteste [l’authenticité] sans nuancer son affirmation n’engage sa responsabilité que si, au moment où il est donné, cet avis apparaît erroné ou imprudent au regard des données acquises ». La Cour de cassation a laconiquement rejeté le raisonnement en se bornant à préciser que l’énoncé de la cour d’appel était exact.

Ayant annulé la vente, la cour d’appel devait régler le dommage. Elle a retenu que les « fautes de la SCP et des experts avaient concouru à la production de l’entier dommage » subi par l’acheteur. Puis, après avoir constaté que « le vendeur, une société étrangère, n’[avait] pu être retrouvé », elle a fixé des dommages et intérêts correspondant au prix et frais d’acquisition majorés d’un préjudice moral.
La condamnation solidaire autorisait la SCP à se retourner contre les experts. La Cour de cassation rappelait sur ce point que c’est « à bon droit que le commissaire-priseur qui a recouru aux services de deux experts […] est fondé à demander leur garantie ».

Au total, dans ce litige, l’obligation de moyens se solde pour les experts par une garantie de résultats.
Pas de révolution, mais la confirmation de l’état de droit nouveau. Sans doute pour le rendre plus lisible, la Cour de cassation a décidé la publication au Bulletin des arrêts et au Bulletin d’information de la Cour.Afin que nul n’en ignore

Cass. civ. 1, 3 avril 2007, arrêt 472 FS. CA Paris – 1re ch. sect. A-14 déc. 2004.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°264 du 7 septembre 2007, avec le titre suivant : Expertise tolérance zéro

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