Bibliophilie

Le temps et rien d’autre

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 8 octobre 2004 - 543 mots

Pour son quarantième anniversaire, la Fondation Maeght rend hommage à la passion de ses fondateurs.

 SAINT-PAUL - « Gageure donc que de montrer la passion pour l’estampe et la bibliophilie, mais plus grande difficulté encore que de montrer la passion pour l’édition et pour l’imprimerie d’art. » Dans la préface du catalogue de l’exposition « De l’écriture à la peinture », Adrien Maeght révèle en une phrase l’entreprise délicate de l’hommage rendu à ses parents. En cette année de quarantième anniversaire (lire le JdA n° 197, juillet-août 2004), la fondation créée par Marguerite et Aimé Maeght célèbre la formidable richesse de la bibliothèque personnelle du couple d’éditeurs et de marchands d’art.
Plusieurs décennies d’amitiés et de collaborations avec les artistes, écrivains et poètes prennent vie à travers 178 livres illustrés et éditions originales, et une centaine de dessins, gravures, peintures et sculptures dont le tiers provient de collections publiques et particulières. Certaines alliances se révèlent judicieuses, comme cet Ubu Roi illustré par les lithographies chatoyantes, voire psychédéliques, de Joan Miró ou Les Fables de La Fontaine vues par Marc Chagall. Qui d’autre que Pablo Picasso, habité par la relation entre le peintre et sa muse, pour animer Le Chef-d’œuvre inconnu d’Honoré de Balzac ? On regrette presque que Le Satyricon de T. Petronius Arbiter ait été confié à André Derain… Picasso toujours qui, en trente et une eaux-fortes, donne une vision puissante de l’Histoire naturelle de Buffon, en décalage avec la légèreté de Georges Braque, prédestiné à donner des ailes à L’Ordre des oiseaux de Saint-John-Perse ou à La Résurrection de l’oiseau de Frank Elgar.
La créativité étonnante des ouvrages surréalistes (le sein tridimensionnel de Prière de toucher ou Eau et gaz à tous les étages de Marcel Duchamp) aurait mérité un espace plus aéré, à l’image de celui, lumineux, consacré à Georges Braque. Riche, la salle consacrée à Marc Chagall éblouit par son avalanche de couleurs. Plus loin, les réalisations contemporaines rappellent l’actualité de la famille Maeght, toujours ancrée dans l’édition d’art.
Mais l’ensemble de ces ouvrages semblent déjà appartenir à une époque révolue. Qui, aujourd’hui, mis à part quelques passionnés, prend encore le temps de  concevoir ou feuilleter ces récits et ces poésies illustrés ? Pour Jean-Louis Prat, directeur de la fondation, cette exposition « revisite un monde peu connu, un monde terminé […] ». « La vidéo est-elle le futur grand livre illustré ? », s’interroge-t-il. Au-delà d’un témoignage sur l’œuvre de vie de Marguerite et Aimé Maeght, « De l’écriture à la peinture » semble rendre hommage au temps ; celui où les artistes, les éditeurs et les marchands prenaient leur temps. « C’est une exposition qui, comme un livre, demande une double voire une triple lecture. Elle requiert du temps et de l’attention de la part du visiteur », ajoute Jean-Louis Prat. Moins spectaculaire qu’habituellement, cette exposition a pu surprendre des visiteurs attirés par pléthore de tableaux en provenance du monde entier. Pour ces 40 ans, la Fondation Maeght, dont les chefs-d’œuvre sont régulièrement prêtés aux grands musées internationaux, a pris la belle initiative d’une manifestation littéraire, un pari difficile et réussi.

DE L’ÉCRITURE À LA PEINTURE

Jusqu’au 14 novembre, Fondation Maeght, 06570 Saint-Paul, tél. 04 93 32 81 63, tlj 10h-19h, www.fondation-maeght.com. Catalogue, 299 pages, 44,50 euros, ISBN 2-900923-34-4

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°200 du 8 octobre 2004, avec le titre suivant : Le temps et rien d’autre

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