Foires

Le syndrome multiplicateur

Par Armelle Malvoisin · Le Journal des Arts

Le 8 octobre 2004 - 1242 mots

Pour attirer des clients qui rechignent à fréquenter les galeries, les marchands se pressent dans les salons, de Tefaf Maastricht à Art Basel.

En 1994 : Tefaf Maastricht (The International Fine Art and Antiques Fair) fête ses 10 ans et ouvre une section réservée à l’art moderne et contemporain dont la présence était auparavant disparate. La Foire tient cependant sa réputation mondiale de la qualité de ses exposants présentant de l’art ancien, en particulier la peinture et les objets d’art du nord de l’Europe. Quant à l’art contemporain, il rayonne à la Foire de Bâle, Art Basel, la plus importante manifestation internationale dans ce domaine, qui souffle ses vingt-cinq bougies. Ayant survécu à toutes les grandes crises du marché de l’art, chapeauté par un comité extrêmement rigoureux, elle prend à l’époque encore quelques longueurs d’avance sur ses rivales.
Aujourd’hui, ces deux manifestations sont toujours indétrônées dans leurs domaines respectifs. Pourtant, ces dernières années ont été marquées par la folle multiplication des salons, autant dans le marché de l’antiquité que pour l’art contemporain.

La conquête de l’Est
Les effets de la crise économique qui a suivi l’effondrement du Nasdaq (bourse des valeurs Internet) en 2000, ont encore été accentués par les attentats qui ont touché les États-Unis en 2001. Handicapés de surcroît par un taux de change dollar/euro défavorable, les Américains ont sensiblement réduit leurs dépenses sur le marché de l’art, poussant les professionnels à soigner leur clientèle européenne. Faire l’événement, tenir salon devient, à la fin des années 1990 et au début 2000, à l’heure où l’amateur d’art ne passe plus aussi facilement la porte des galeries, plus qu’une mode : une nécessité. À Paris en 2003, le Syndicat national des antiquaires a même cédé à la pression de ses membres pour créer le Salon du collectionneur une année sur deux, en alternance avec la Biennale des antiquaires. Le Pavillon d’automne des antiquaires, à l’initiative du duo de marchands Patrick Perrin et Stéphane Custot, donne lieu en même temps à un raout artistique dans le jardin des Tuileries. Un mois seulement avant la très attendue Tefaf Maastricht, plusieurs antiquaires français et européens trouvent même un intérêt à se rendre dorénavant à Bruxelles, à la Foire des antiquaires de Belgique, laquelle a relevé son niveau de sélection. Tandis que se profile une nouvelle étape bruxelloise en novembre 2004 baptisée « Grands Antiquaires », derrière laquelle se tient l’antiquaire Georges De Jonckheere. En juin 2005, à la Royal Academy de Londres, un Salon international des beaux-arts, qui se veut « de premier plan », viendra talonner la traditionnel Grosvenor House Art & Antiques Fair. Enfin, pour ajouter à la confusion, Palm Beach Classic, foire d’antiquités qui a lieu en Floride en début d’année, a été renommée « Palm Beach ! » pour attirer des antiquaires européens qui privilégient d’habitude New York. L’IFAE (International Fine Art Expositions), l’organisateur du salon, a même un temps songé à organiser une New York Fall Fair avant de faire machine arrière, « compte tenu d’une hésitation légitime à instaurer une concurrence entre ses propres manifestations artistiques » localisées en Floride, a-t-elle fini par considérer. Les regards des professionnels, toujours à la recherche de nouveaux collectionneurs, se tournent aujourd’hui vers l’Est, le nouvel eldorado. Par exemple vers Moscou, où s’est déroulée la première foire d’antiquités en juin 2004 : beaucoup de grandes enseignes européennes ont répondu à l’appel du paradis des nouvelles grosses fortunes. Et on peaufine déjà des projets pour conquérir la Chine.

Salons de niche
Les années 1990 ont vu des marchands se fédérer autour de foires spécialisées, là où existe un réel marché de niche. Le Salon du dessin à Paris, unique en son genre, est monté en puissance. 2003 étant l’année de la consécration dans un écrin digne de sa réussite, la Bourse. Paris Photo, fondé en 1997 par Rik Gadella, est devenu en très peu de temps la plus grande foire mondiale de la photographie toutes époques. Elle a habilement concurrencé la foire  de l’AIPAD, qui se tient à
New York. Le design, un secteur dit « porteur », n’a en revanche pas trouvé ses marques. SM’ART, le salon du mobilier et de l’objet design 1950-2000, n’a fait qu’une seule apparition en 2001 en marge d’Art Paris. Le Salon XXe Siècle, lancé par Rik Gadella l’année suivante, a capoté après deux essais, les locomotives de l’Art déco lui préférant les grands salons internationaux. Mais le design XXe siècle revient aujourd’hui à la FIAC (Foire internationale d’art contemporain) ou dans quelques stands du Pavillon des antiquaires. Quant aux arts premiers, ils n’ont tenu qu’un temps dans les salons de l’hôtel Dassault : une sélection médiocre des participants avait conduit les grosses pointures du domaine à se retirer au profit de Kaos, une formule festive de quartier dans les galeries de Saint-Germain-des-Prés, inspirée de  Bruneaf (Brussels Non European Art Fair), organisée dans le quartier des antiquaires de Bruxelles.

L’art contemporain en folie
Mais la plus grande frénésie vient de la scène artistique contemporaine. Des manifestations historiques aux plus jeunes, chacune y va de sa signature personnelle pour se renouveler et passer pour la plus branchée du moment. La mise sur orbite de la Frieze Art Fair à Londres en octobre 2003 a encore bouleversé l’échiquier. Particulièrement dynamique, avec un programme alléchant, cette jeune foire a attiré conservateurs et collectionneurs internationaux. Pour faire face à cette rude concurrente, la FIAC, sous la houlette de sa nouvelle directrice artistique, l’ancienne galeriste Jennifer Flay, ouvre cette année un secteur « Future Quake » réservé aux très jeunes galeries. Cela sera-t-il suffisant ?
En Allemagne, Art Forum Berlin et Art Cologne, plus que jamais en compétition, essaient d’être plus séduisantes à force de clubs VIP, de « Project Rooms » et de sections innovantes, à l’exemple de la très appréciée « Cutting Edge » de l’ARCO (Feria internacional de Arte Contemporáneo) à Madrid. Dans cette logique, l’Arte Fiera à Bologne affiche un nouveau visage sous les conseils de Lorenzo Rudolf, consultant extérieur de la première foire italienne d’art moderne et contemporain, qui n’a plus rien à envier à la Turinoise Artissima. Le vice-président de l’IFAE est aussi à l’origine de la formule revue et corrigée de Palm Beach Contemporary en 2004 (ex Artpalmbeach), moins axée sur l’art actuel et davantage positionnée sur le classique contemporain. Les petites foires, de la très respectée Art Brussels à Art Paris, qui cultive sa différence avec plus ou moins de bonheur, avancent aussi leurs pions, en réservant encore des surprises.
Toutes ces manifestations marquent en tout cas un tournant sur le marché de l’art, celui d’une ère des foires, nouveau salut des marchands d’art. À l’heure où les galeries se vident, les collectionneurs n’hésitent plus à traverser les continents pour arpenter les allées des salons.

Bâle sur mer

Peut-on exporter un concept de foire en jouant la carte de la marque ? En 2003 justement, Art Basel, la Foire de Bâle leader pour la création contemporaine, prend le pari fou de s’exporter en lançant un nouveau salon outre-Atlantique à six mois d’intervalle de l’édition bâloise. Objectif : la Floride, l’une des régions qui compte en hiver le plus grand nombre de collectionneurs fortunés. La première édition d’Art Basel Miami Beach, qui se tient en décembre 2003, réunit grâce à son capital confiance la fine fleur des galeries d’art moderne et contemporain. En bord de mer, des acheteurs, pas toujours éduqués mais les poches bien remplies, finissent par faire de la manifestation un succès. Reste à pérenniser le rendez-vous...

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°200 du 8 octobre 2004, avec le titre suivant : Le syndrome multiplicateur

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