Analyse

Du marché au musée

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 22 octobre 2004 - 532 mots

Grâce à Sotheby’s, Carrefour a acheté pour l’État la collection de Bestegui.

Les allers-retours entre le monde du négoce et celui des enchères se poursuivent. Dernier exemple en date avec Patrick Leperlier qui, après avoir dirigé le département Mobilier ancien de Christie’s, a opté en 2003 pour le courtage. Pas pour très longtemps, puisqu’il porte aujourd’hui la casquette de conseiller international en mobilier de Sotheby’s. Si les transferts entre les deux maisons de ventes sont légion, il est rare en revanche que les spécialistes affranchis se remettent la bride au collet ! La plupart des transfuges surfent entre l’univers du négoce et celui des ventes publiques dans une grande volatilité des rôles. On retrouve ainsi Jean-Baptiste de Proyart, ancien responsable du département Livres anciens de Sotheby’s, derrière la vente de 127 ouvrages issus des presses d’Alde Manuce chez Bergé et associés (19 nov.). La dispersion de la collection de photographies de la baronne Lambert chez Phillips les 8 et 9 novembre est quant à elle signée de la griffe de Philippe Ségalot, ancienne éminence grise du secteur art contemporain de Christie’s et conseiller de grands collectionneurs.
La confusion des genres est tout aussi cultivée par les maisons de ventes qui ont ouvert des départements ventes privées. En 2003, ce secteur de Christie’s a engrangé 90 millions de livres sterling (plus de 128 millions d’euros) sur un chiffre d’affaires total de 1,2 milliard de livres (1,7 milliard d’euros). L’écurie de François Pinault avait alors servi d’intermédiaire dans la vente de la Venus Anadyome du Titien à la National Gallery of Scotland, à Edimbourg. L’entente d’un collectionneur, d’une maison de ventes et d’un mécène a permis à l’État français de récupérer le 21 octobre un ensemble de 130 dessins italiens de la Renaissance et du premier âge baroque. Bien que, par une coquetterie de dernière heure, ce fonds soit présenté comme anonyme, il n’est de secret pour personne qu’il s’agit de la collection de Juan de Bestegui. À l’origine, l’ensemble devait être dispersé chez Sotheby’s Londres et New York en trois vacations de janvier 2004 à janvier 2005. Deux dessins avaient alors été classés trésors nationaux tandis que le reste prenait le statut d’œuvres d’intérêt patrimonial (Oip). Approchée à l’automne 2003 par Robert Fohr, responsable de la communication à la direction des Musées de France, la société Carrefour a acheté l’ensemble 11,33 millions d’euros pour le remettre à l’État selon les dispositifs fiscaux de la loi du 4 janvier 2002 relative aux musées de France. Vingt-cinq dessins rejoindront les collections du Musée du Louvre tandis que, dans une logique de décentralisation, les 105 autres feuillets seront répartis entre les musées de Lille, Rennes, Orléans et Toulouse.
Une fois n’est pas coutume, Sotheby’s France n’a pas œuvré à l’exportation. Sa médiation dans cette affaire est d’autant plus courageuse qu’elle a dû batailler ferme contre les antennes de Londres et New York qui voyaient dans cette action « citoyenne » un gros manque à gagner. Difficile de savoir si le collectionneur ou Sotheby’s ont perdu au change. L’addition finale a certes légèrement baissé par rapport aux 12 millions d’euros d’estimation haute de la maison de ventes. Mais une action patrimoniale vaut bien une toute petite concession...

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°201 du 22 octobre 2004, avec le titre suivant : Du marché au musée

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