Londres

Frieze ou la chronique du consensus

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 5 novembre 2004 - 645 mots

Malgré son allant commercial, Frieze, qui s’est déroulée du 15 au 18 octobre, a manqué de twist.

 LONDRES - Frieze Art Fair est trendy et hype nous disait-on. Mieux que ça, pétillante, innovante. Tout bonnement sympathique. Le large consensus précédant la seconde édition de la foire londonienne n’a d’égal que la déception d’après-coup. Il est dans la logique des salons de comporter un risque de standardisation. Voilà ce qui guette Frieze qui a gagné cette année en sérieux ce qu’elle a perdu en fraîcheur. Un rapide parcours des allées a donné au visiteur l’impression d’une foire pour Madonna, ou encore d’un « Baselito », pâle copie du premier étage d’Art Basel. La liste des artistes y était convenue, les transactions, frénétiques et les prix, insensés. Certaines galeries établies ont usé des mêmes ficelles que pour la Foire de Bâle. White Cube (Londres), qui avait présenté à Bâle 2004 Sex II, une sculpture de Jake et Dinos Chapman, enfonçait le clou avec un charnier des deux frères baptisé The Shape of Things to Come (450 000 livres sterling, 647 000 euros), réservé dès la première heure. Même schéma pour Barbara Gladstone (New York) dont l’accrochage faisait la part belle à une photo de cow-boy de Richard Prince, cédée pour 250 000 dollars (env. 196 000 euros), et à des clichés récents de Matthew Barney (entre 50 000 et 75 000 dollars). Vu la célérité avec laquelle certaines œuvres étaient déclarées vendues ou réservées, on peut se demander si une grande partie de ces « trophées » n’étaient pas en réalité prévendus...

Soirée venimeuse
Une bonne dose de vulgarité s’est insinuée sur les stands. Même la très élégante Lisson Gallery (Londres) avait mis en credo sur son stand l’inscription Do something evil ! Les collectionneurs venus s’encanailler à Londres n’ont pas semblé effarouchés par la multitude d’interjections dont ils étaient gratifiés, entre un singe transpercé d’ustensiles baptisé Fuck D de Tony Martelli, vendu 32 000 dollars chez Leo Koenig (New York), ou deux dessins Fuckem de Christopher Wool cédés chacun 95 000 dollars chez Gisela Capitain (Cologne). Aux dernières nouvelles, la pièce You Rotten Prick (50 000 dollars) de Jack Pierson chez Alison Jacques (Londres) n’avait pas encore trouvé preneur ! Pas plus que le dispositif de Yoshua Okon faisant tourner en boucle du vomi humain (15 000 dollars)...
Dans ce maelström de one line jokes, on s’attardait sur le très beau stand de Chantal Crousel (Paris) où les photos de Jean-Luc Moulène côtoyaient des œuvres domestiques de Thomas Hirschhorn et une pièce de 1972 de Robert Filliou (56 500 euros). Maureen Paley (Londres) avait aussi fait un bel effort avec une photo troublante de Gillian Wearing (Self-Portrait at 3 Years Old, 28 000 livres, 40 000 euros).
Malgré les superlatifs dont on la pare et son succès commercial, Frieze ne s’est pas construite d’identité propre. Elle a surtout joui de l’effervescence des parties et des événements off comme « Zoo Art Fair », la turbulente petite greffe qui a eu la perspicacité d’organiser son cocktail dans un vivarium, histoire de rappeler que le marché de l’art a aussi quelque chose de venimeux ! Le socle de collectionneurs locaux est encore faible, et l’énergie commerciale repose surtout sur l’arrivée massive des Américains, très dépensiers les deux premiers jours. Avant-poste américain en Europe, la foire joue les mouches du coche pour Art Basel Miami. Ce qui pourrait donner des idées d’OPA à la Foire de Bâle... On peut surtout se demander si les meilleures galeries du monde pourront offrir de quoi nourrir les collectionneurs sur autant de foires de juin à décembre. Comment combiner le principe de rareté, stratégie des galeries qui dressent des listes d’attente, avec la demande des collectionneurs en œuvres et nouveauté, le tout sans céder à la logique d’artistes Kleenex ? Tout le monde semble oublier que l’art contemporain n’est pas un puits sans fond.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°202 du 5 novembre 2004, avec le titre suivant : Frieze ou la chronique du consensus

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