Jean-Louis Couturier

« Passer du tirage au livre »

Le Journal des Arts

Le 5 novembre 2004 - 830 mots

En février 1996, Jean-Loup Couturier et Alain Sinibaldi exposaient dans le cadre de la foire Paris Photo au Carrousel du Louvre (galerie Temps de pose) cent soixante-dix livres de photographie, regard sur un siècle de bibliophilie de livres photo. De la revue Camera Work à Marie-Hélène Clément et Pascal Hausherr, auteurs de l’ouvrage Demain les anges, ils furent les premiers, bien avant Martin Parr ou Andrew Roth et son fameux The Book of 101 Books, à s’intéresser aux livres de photographie. Ancien courtier en assurance, passionné de photographie et de livres, Jean-Louis Couturier a contribué à créer un marché de bibliophiles.

 Quel est votre itinéraire ?
J’ai dirigé longtemps une société d’assurance, avec depuis toujours la photo comme hobbie. J’ai voulu prendre des cours de photo, mais c’était difficile et, pour apprendre, j’ai commencé à acheter des livres… C’était dans les années 1980. Je me suis pris au jeu et j’ai commencé à avoir une belle collection de livres. Quand je suis parti à la retraite, je ne voulais pas passer mon temps à jouer au golf, je voulais une activité intellectuelle. Je me suis donc lancé dans la vente de livres de collection. Je travaille depuis chez moi.

Quelle est votre clientèle ?
Je travaille avec un certain nombre de collectionneurs, je sais ce qu’ils recherchent et j’essaye de leur trouver des exemplaires en parfait état. Beaucoup ont évolué avec moi. Ce sont des gens qui ont des moyens, même s’ils achètent des livres parce qu’ils n’ont pas les moyens d’acheter un tirage. Les jeunes qui débutent cherchent plutôt des références, que l’ouvrage ait une jaquette ou non !

Quelles sont les périodes les plus recherchées par vos clients ?
Les Américains de Robert Frank est la plaque tournante. Il y a ceux qui collectionnent avant 1958 et ceux après… Certains s’intéressent à toutes les époques comme moi, ça va de Camera Work à aujourd’hui, mais maintenant je décroche un peu.

Que pensez-vous de la réédition des livres photo mythiques et depuis longtemps épuisés comme le Paris de Moï Ver, à nouveau publié par 7L ?
Que le plus grand monde puisse les feuilleter, c’est bien. Mais ça ne joue pas sur les prix. Le Moï Ver est un livre mythique, peu l’ont vu, j’en ai eu deux en bon état et refusé trois en mauvaise conservation… Chaque fois que j’ai un nouveau collectionneur, il le veut !

Quelle est l’évolution des prix ?
Les prix aujourd’hui ont crevé le plafond. Beaucoup de gens qui collectionnent la photo en tirage veulent avoir le livre dans lequel ils retrouveront leur image ainsi qu’une vue d’ensemble de l’œuvre du photographe. Ils ne sont pas encore trop regardants sur la qualité du livre mais, petit à petit, ils vont le devenir. Il y a une corrélation entre les deux. Parfois les prix plafonnent avant de monter.

Y a-t-il encore des livres que vous ne connaissez pas ?
Oui, il doit bien y avoir de petites plaquettes que je ne connais pas !

Vos clients collectionnent-ils également les tirages ?
J’ai perdu un client qui est passé au tirage, mais j’ai aussi récupéré beaucoup de clients qui sont passés du tirage au livre.

Quels conseils donneriez-vous à un jeune collectionneur ?
Acheter ce que l’on aime, c’est le plus important ! Bien connaître l’histoire de la photographie et chercher sa voie. L’œil se fait vite ! Et être patient. La première fois que j’ai vu le Paris de Moï Ver je n’ai pas accroché ; American Monuments, de Lee Friedlander, est aussi difficile d’accès. On met du temps à rentrer dedans, mais après… !

Est-ce difficile de trouver encore du matériel ?
C’est de plus en plus difficile. Parfois cela devient démentiel au niveau des prix ! J’ai beaucoup acheté aux États-Unis, je connais beaucoup de libraires américains, à une époque où les livres américains étaient peu connus en France. Ils savent ce que je recherche. J’achète dans les ventes aux enchères, mais c’est de plus en plus difficile. Il y a une telle demande aujourd’hui !

Qu’est devenue votre collection ?
Je n’ai plus grand-chose, car je reçois chez moi et beaucoup de collectionneurs, voyant mes livres, veulent me les acheter. À force de céder, il ne reste presque plus rien… Mais je garde mes préférés !

Et donc, vos livres préférés sont... ?
Facile (1935) de Man Ray, je crois que c’est celui-là que je garderai, si je devais n’en conserver qu’un. Et puis : A Dialogue with Solitude (1965) de David Heath, The Sweet Flypaper of Life (1955) de Roy DeCarava, Paris de Nuit (1933) de Brassaï et Londres de Nuit de Bill Brandt (1938).

Le livre introuvable ?
Il y en a un que je n’ai jamais vu complet : The North American Indian, de Edward S. Curtis, vingt volumes publiés à compte d’auteur entre 1907 et 1930. J’ai vu des volumes passer, c’est passé en vente récemment… C’est sans doute le plus cher, il faudrait compter 1 million et demi de dollars.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°202 du 5 novembre 2004, avec le titre suivant : Jean-Louis Couturier

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