Reichen et Robert

Deux Français à New York

Par Gilles de Bure · Le Journal des Arts

Le 5 novembre 2004 - 693 mots

En 1932, dans son Voyage au bout de la nuit, Louis-Ferdinand Céline écrivait : « Figurez-vous qu’elle était debout leur ville, absolument droite. New York c’est une ville debout. On en avait déjà vu nous des villes bien sûr, et des belles encore, et des ports et des fameux même. Mais chez nous, n’est-ce pas, elles sont couchées les villes, au bord de la mer ou sur les fleuves, elles s’allongent sur le paysage, elles attendent le voyageur tandis que celle-là l’Américaine, elle ne se pâmait pas, non, elle se tenait bien raide, là, pas baisante du tout, raide à faire peur... »
Rares sont les architectes français à avoir pu se confronter à cet élancement, à cette raideur qu’évoque Céline. Christian de Portzamparc le premier qui y a édifié, il y a cinq ans, la tour LVMH sur la 57e Rue, entre Fifth et Madison. Jean Nouvel ensuite, qui achève actuellement une tour de logements à SoHo et se penche, si l’on peut dire, sur le projet de gratte-ciel qu’il devrait édifier en bordure de Ground Zero. Et voici qu’une troisième équipe française, celle de Bernard Reichen et Philippe Robert, s’apprête elle aussi à conquérir New York. Non pas à la manière des deux premiers, en insistant sur la « ville debout », mais plutôt en jouant du côté « couché sur le fleuve ».
À l’ouest de Manhattan, l’Hudson River, bordée de wharfs, de piers et de yards (quais, embarcadères et chantiers). La plupart désaffectés, sans usage, réduits à l’état de friche. Depuis quelques années, la ville et la région, par le biais d’Hudson River Park Trust, envisagent de réhabiliter et reconvertir l’ensemble. Dans la continuité, peut-être, du vaste projet environnementalo-culturel qui agite l’Hudson River depuis sa source, loin au nord de l’État, jusqu’à l’Atlantique. Bref, le projet du Trust envisage une revivification des berges depuis la 59e Rue au nord jusqu’à Battery Park, la pointe sud de Manhattan. Peu de choses entreprises jusqu’alors, hormis l’aménagement d’un des deux énormes piers, celui situé à la hauteur de Chelsea (le quartier des galeries contemporaines) transformé en centre sportif. Dans l’axe précis de South Houston Street, à la frontière de Greenwich Village et de SoHo, se projette l’autre monument sur l’eau, le Pier 40, celui que Reichen et Robert vont prochainement investir. « Il s’agissait d’un curieux concours, confie Philippe Robert, qui opposait en réalité des promoteurs et des investisseurs. L’un prévoyait un colossal centre commercial ; l’autre un gigantesque aquarium, le plus grand du monde. A contrario, notre projet relève plus de l’idée d’équipement de proximité. C’est en partie ce qui nous a valu de l’emporter, très soutenus que nous étions par les associations de riverains. »

Promenades singulières
Leur projet est, effectivement, un concentré d’intelligence urbaine, un condensé d’urbanité. Comme un navire ancré au-dessus de l’Hudson, posé sur de longues jambes, le Pier 40 offre trois niveaux d’activités. Les deux niveaux bas regroupent des places de stationnement (2 000 pour être précis et donner l’échelle du Pier), des activités à caractère maritime, des studios de télévision, des équipements culturels, des restaurants dominant le fleuve et quelques boutiques. Mais c’est le niveau haut, découpé en carrés selon le gabarit du Pier, qui remporte tous les suffrages.
Au centre, des terrains de sport et des cours de tennis. Les bordant sur tout le pourtour, quinze jardins thématiques, de format carré, que dans un avenir proche Philippe Robert confiera, pour la conception, à quinze artistes et paysagistes internationaux. Avec le désir de la part de l’architecte que ces jardins soient pris en compte par les antennes culturelles du Pier, et qu’au fil du temps leur fond comme leur forme varient d’un artiste à l’autre.
Enfin, point d’orgue du projet, les rampes et les escaliers d’accès : tous mènent à des promenades singulières, différentes, multipliant les points de vue, provoquant découvertes et surprises, le tout bordé de plantations d’arbres en pleine terre, de haies denses et touffues. Manière tout à la fois de capturer et d’élargir le regard. Au total, une ville dans la ville, une vie en bordure de la ville et que Céline, sans nul doute, aurait trouvée tout à fait « bandante ».

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°202 du 5 novembre 2004, avec le titre suivant : Deux Français à New York

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